Clélie Millner est maître de conférences à l'Institut catholique de Paris. Elle y enseigne la Littérature Comparée. Ses travaux portent sur une lecture politique et éthique de la littérature contemporaine dans le domaine français, italien et germanophone. Après avoir travaillé sur le "questionnement de la présence" à travers la notion de trace, elle s'intéresse à des enjeux politiques et éthiques de récits de soi de l'extrême contemporain et anime un séminaire de recherche sur cette question à l'ICP.
En quoi diriez-vous que votre vie (ou une partie d'icelle) est vouée à la transmission ?
En tant qu’enseignante de littérature comparée, je transmets ,je l’espère, des savoirs, ou leurs fragments, convaincue qu’ils peuvent armer la pensée de jeunes lectrices (la majorité est féminine en cours de Lettres Modernes) et, plus généralement, de jeunes citoyennes, d’individus qui vont exercer leur jugement dans tous les champs de leur existence. Existence au cours de laquelle l’histoire littéraire, la connaissance d’un auteur, celle de passages entiers lus et relus, quelques ponts audacieux entre des univers littéraires pourront constituer tout un jeu d’échos pour éclairer une situation, pour penser la vie.
Et en tant qu’individu, j’ai le sentiment d’être prise dans un réseau de conversations à bâtons rompus, qui sont autant de transmissions, avec les personnes comme avec les livres.
Parlez-nous de votre "médium" ?
Le medium, ce serait le cours. C’est un moment pluriel, où la transmission est remplie d’affects multiples : l’intérêt, l’ennui qui passe, la conviction, le doute fructueux, parfois le ridicule pour attirer l’attention. Finalement, le seul medium vraiment fidèle, ce serait l’énergie.
Avez-vous une « méthode » ?
Faire entendre les textes, plein de textes, et de différentes époques, créer des liens en hypothèses.
La transmission est-elle, pour vous, une sorte de création collective ?
Les cours à l’université restent relativement magistraux, mais à titre d’horizon, oui, la transmission est collective en tant qu’elle échappe complètement. J’avais une professeure de français extraordinaire au collège qui nous avait fait apprendre par cœur un passage des Essais dans lequel Montaigne écrit que les enfants sont comme des abeilles qui « pillottent deçà-delà les fleurs mais en font après un miel qui est tout leur, ce n’est plus ni thym ni marjolaine ». Le miel est un topos, mais l’idée des brins de thym et de marjolaine qui donneront de leur parfum à une pensée tout autre est particulièrement réjouissante.
Pourquoi transmettre ?
Pour perpétuer ensemble l’esprit critique et l’enthousiasme.
Avez-vous le sentiment, ou l'impression, à chaque opportunité qui vous est donnée de transmettre, d'observer "l'objet" de la transmission comme une figure neuve, réinventée parce que partagée ?
À chaque fois que je perçois l’intérêt dans l’attitude de celles et ceux qui m’écoutent, je renouvelle celui que je porte à mon objet, j’en cultive l’étonnement. Et l’une des joies de ce métier réside dans les questions des étudiants : le partage bat alors son plein et le cours quitte toute direction tracée, il devient unique, tout neuf.