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Photo du rédacteurSylvie Gouttebaron

François Delay : "Dans ma vision, transmission et bienveillance sont indissociables"


François Delay (c) DR



François Delay a exercé le métier de médiateur dans les hôpitaux publics. En juillet 2013, il ouvrait sa librairie, La case des pins qui était, à l'origine, la maison de la presse de Saint-Brevin-les-pins. Jusqu'à sa retraite, il n'a eu de cesse de développer projets et rencontres littéraires, faisant de ce lieu un point de ralliement de lecteurs jeunes et moins jeunes, comme un foyer culturel rayonnant bien au-delà de de bourg de bord de mer. 

La librairie a été parfaitement reprise et poursuit, à la manière de ses nouveaux propriétaires, le chemin tracé d'une vraie librairie indépendante. 

François Delay, passionné avec raison, a créé une très jolie et intéressante manifestation littéraire pour la jeunesse (et au-delà) sur le site de Saint-Brevin : Lire sous les pins, que la Mél soutientLa 5ème édition aura lieu du 24 au 29 mars 2025. Informations sur l'association (adhésions etc...) à retrouver ici.

Ajoutons qu'avec François Delay, la Maison des écrivains a inventé un cycle Le livre fait le pont où sont venus auteurs et autrices (Jean-Claude Mourlevat, Marie-Aude Murail, Éric Pessan, Louise Mey... entre autres). Ces rencontres d'éducation artistique et culturelle sur une semaine, comprenant deux soirées ouvertes à toutes et tous, présentées par les élèves, sont une expérience originale de "maillage territoriale", en zone rurale et front de mer. En 2025, le Pont de Saint-Nazaire, qui a inspiré le titre de ces rencontres et les textes commandés aux auteurs et autrices dans ce contexte, fêtera ses... 50 ans... Nous serons de la fête en littérature. 



En quoi diriez-vous que votre vie (ou une partie d'icelle) est vouée à la transmission ?


Quiconque crée une entreprise, que ce soit un cabinet de conseil ou une librairie, dès lors qu’il s’entoure de collaborateurs, est voué à recevoir et à transmettre. Dans le cas d’une librairie, le rôle de transmission est encore beaucoup plus fort car il ne s’agit pas que des interactions avec les collaborateurs, mais et surtout des interactions avec les « clients-amis » de la librairie. Le plaisir de partager est alors indissociable de cette transmission. 

Par ailleurs, je plaide pour que les grands-parents (et arrière-grands-parents) soient considérés comme des vecteurs de transmissions car ce sont des passeurs de vie, de sociabilité et de culture. En fonction des contextes familiaux, le temps passé auprès des plus jeunes par ces anciens peut être (très) significatif.

Et puis, il y a la vie de tous les jours et la transmission / partage avec la compagne, le compagnon, les ami(e)s. Transmission qui, pour être pleinement effective, est liée à une présence rassurante. Transmission et « care » - prendre soin / soigner – sont souvent indissociables. Et cette transmission ne constitue alors souvent pas un moment « à part », facilement identifiable : elle est mélangée à la relation.

Alors oui, une partie de ma vie aura été vouée à la transmission… et à la réception.



Parlez-nous de votre "médium" ? 


Je ne vais ici me centrer que sur un aspect de « ma » transmission : le livre.

Le livre constitue un médium très intéressant pour la transmission entre adultes et pour la transmission au profit des plus jeunes parce qu’on ne peut pas éviter la lecture pour comprendre.

Quand je pense au livre, je pense immédiatement au plaisir de lire. Quiconque a connu ce plaisir cherchera à le renouveler. Plaisir de « passer un bon moment », plaisir de rencontrer une forme d’écriture ou des réflexions qui vous parlent, plaisir d’apprendre.

Bien sûr, il existe des livres meilleurs que d’autres, mais il y a surtout des livres qui vous « parlent » ou pas. Et quand un livre vous « parle », en faire profiter les autres constitue un impérieux besoin. Et cette transmission dit alors quelque chose de vous.

Le livre était autrefois au cœur du système éducatif qui a certes beaucoup évolué mais dont la matrice demeure. La mission d’éducation des jeunes est une tâche du présent, tournée vers un avenir très difficile (impossible ?) à décrire, avec des parcours de vies imprévisibles. 

Un seul exemple : nous sommes au pied du mur de l’intelligence artificielle qui métamorphose toutes les matières. Aujourd’hui plus qu’hier, il faut aider les jeunes à vivre sereinement dans un univers incertain, à construire leurs propres boussoles qui les aideront à sillonner leur existence au gré des vents et des rencontres et au milieu de repères solides.

Le livre parce qu’il est physiquement là, parce qu’on peut aller le rechercher dans sa chambre ou sa pièce à vivre, parce qu’on peut s’arrêter aussi longtemps que souhaité sur une page ou le parcourir d’une traite, constitue un médium très utile de la transmission.



Avez-vous une « méthode » ?


Difficile de répondre à cette question.

Dans ma vision, transmission et bienveillance sont indissociables. Bien transmettre à une personne que vous « n’aimez pas » me semble très difficile alors que transmettre à une personne que vous « aimez » devient naturel.  Peut-on être un « bon » entraineur quand on « n’aime » pas ses joueurs ? 

Par ailleurs lorsque c’est possible j’aime à ce que les temps de transmission ne soient pas identifiables en tant que tels mais mêlés à d’autres temps.

Quand ils viennent chez une personne qu’ils ne connaissent pas pas pour lui « tirer son portrait », certains photographes disent qu’ils n’ont que quelques minutes pour réussir un « bon » portrait. Mais d’autres disent que pour réussir un « bon » portrait, il faut se faire accepter comme photographe et que ça peut prendre des heures voire des jours ou des semaines -cf. les remarquables photographies de Giacomelli à l’hospice de sa ville.

Les deux affirmations sont probablement vraies ; mais personnellement je fais partie de la seconde catégorie, en photographie comme en transmission.



La transmission est-elle, pour vous, une sorte de création collective ?


Oui, au double sens suivant : (1) il y a nécessairement des interactions entre les deux acteurs de la transmission et la qualité de ces interactions influe sur la qualité de la transmission ; (2) le receveur a le plus souvent plusieurs transmetteurs et les transmissions faites par les uns aident aux transmissions faites par les autres.

Non, parce que la transmission peut, pour être utile, nécessiter un certain degré d’intimité.



Pourquoi transmettre ?


Parce que je suis d’accord avec Céline quand il dit que « la grande défaite est d’oublier ». C’est évidemment vrai en matière d’histoire ; la petite comme la grande histoire. Mais c’est aussi vrai dans d’autres domaines.

Parce que – et c’est en lien avec la question suivante – transmettre impose de structurer sa pensée, de retravailler ses croyances, de les approfondir, d’identifier ce qui clé.

Parce que transmettre peut permettre au receveur de gagner du temps dans l’acquisition de nouvelles compétences, de faciliter des apprentissages.



Avez-vous le sentiment, ou l'impression, à chaque opportunité qui vous est donnée de transmettre, d'observer "l'objet" de la transmission comme une figure neuve, réinventée parce que partagée ?


Evidemment, puisque la transmission n’est pas un mouvement unidirectionnel. Transmission implique interaction et toute interaction est susceptible de modifier l’objet de la transmission voire de le peaufiner.


La 15e édition du Festival "Littérature, enjeux contemporains" de la Maison des écrivains et de la littérature, qui, cette année, a pour thème "Transmettre", se tiendra les 10, 11 et 12 octobre au Théâtre du Vieux-Colombier (Paris) en partenariat avec Collateral.



Entrée libre




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