Les mots de ma mère : Estouffiner & « Marquemal se promène »
- Marie-Odile André
- 28 mars
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Estouffiner
C’est l’été. Le vrai été. L’été méridional, insupportable et absolu. L’été à son paroxysme : chaleur, absence de vent, humidité. Le corps n’en peut plus ; rien ne se manifeste qui lui dirait comment respirer : un souffle d’air, un battement d’aile, la stridence mécanique et binaire d’un grillon ou d’une cigale.
L’été menace le corps d’asphyxie. D’un instant à l’autre, il va cesser de respirer, comme s’il ne savait plus comment faire. Un découragement de la vie même à se continuer.
« On estouffine » dit ma mère. Estouffiner est un superlatif. Le superlatif d’étouffer. Un étouffement au carré ou au centuple, on ne sait. Le « i » d’estouffiner a toutes les caractéristiques sonores d’un paroxysme, d’un cri aigu, d’une exclamation excédée et d’une révolte à la fois. Étouffer n’est rien en comparaison. Un simple petit désagrément passager.
Avec « estouffiner », celui qui estouffine voit sa propre fin, il la dit même. Mais il proclame dans le même élan son impatience que ça finisse, non pas sa vie en réalité, mais cette chaleur qui, avec cette exclamation, on le sent, vient d’atteindre son acmé.
« Marquemal se promène »
Marquemal est un personnage de mon enfance. Il a les guêtres d’un ruffian, la prétention agressive d’un matamore, les gestes d’un vaurien. Je suppose qu’il est censé faire peur aux petites filles.
Ses apparitions sont récurrentes et rituelles. Quand quelque chose ne va pas, quand on frôle la catastrophe, quand je suis menacée de punition en représailles de je ne sais quelle bêtise ou quelle velléité de révolte, « Marquemal se promène ». C’est l’assurance que cela va mal finir, qu’il est temps de s’arrêter, de prendre les mesures qui s’imposent, de cesser de faire n’importe quoi.
« Marquemal se promène » est un avertissement. Le bonhomme n’est pas loin, il rôde, il va venir mais il n’est pas encore là.
En réalité, Marquemal ne vient jamais. Il n’en a pas le temps. Cela n’est jamais réellement nécessaire. Sa venue est toujours évitable. Un peu de bon sens, un peu d’énergie, un peu de logique, un peu de sagesse et il sera possible d’échapper au pire qu'il condense puisqu'il est à la fois la catastrophe et la punition.