Dans l’entretien qu’il a accordé à Collateral pour présenter son atelier avec des élèves dans le cadre de l’action Par nature, des ateliers avec le vivant menée par la Maison des écrivains et de la littérature, Mathieu Simonet affirme la nécessité d’une porosité entre la démarche sensible du discours littéraire et celle réflexive des discours scientifique et juridique pour penser notre rapport au monde et agir. C’est ce qu’illustre la forme étonnante de son ouvrage La Fin des nuages, dans lequel il nous raconte comment sont nés son intérêt pour les nuages et son engagement écopoétique. En effet, il est impossible d’attribuer à ce récit hybride une catégorie répertoriée puisqu’il fait entrer le discours scientifique dans la littérature ou l’inverse, qu’il y mêle également le politique et le juridique. Ce croisement harmonieux de ces différents discours bouscule l’activité du lecteur, amené à s’impliquer dans la réflexion et l’action menées par l’auteur.
Le fil conducteur est le récit autobiographique d’une relation amoureuse marquée par la maladie et la mort de son mari. Alors que ce dernier est réticent face à cette écriture de l’intime au début de leur relation, le narrateur explique qu’il ne pourra pourtant pas le dissocier de son projet littéraire : « je savais que j’aurais, un jour, besoin d’écrire sur lui. Il deviendrait comme un pays dans lequel j’habite. Il ferait partie du décor. Je ne voyais pas comment je pourrais le gommer de mon écriture. » Au-delà du pacte autobiographique traditionnel, cette écriture de l’intime révèle surtout la façon dont l’auteur fait de l’écriture une façon de vivre. Raconter une histoire à partir de ce que l’on vit « peut la rendre merveilleuse, ou au moins supportable. C’est en tout cas la seule chose sur laquelle nous conservons une certaine maîtrise. » Mathieu Simonet explique ainsi que mettre en récit la réalité « est parfois la seule option qui s’offre à nous », à lui donc mais aussi au lecteur.
Il raconte ainsi comment il construit poétiquement son histoire avec Benoît. Il interprète tout d’abord la concomitance de leur rencontre et du tsunami en Indonésie en décembre 2005 que lui apprend un de ses amis qui y a survécu : « Benoît m’écoutait tisser des liens qui n’en avaient pas. Créer de la douceur dans le chaos. Je m’étais construit ainsi, grâce à l’écriture. Tout était devenu, en quelque sorte, un jeu de poésie depuis mon adolescence ». Lors du décès de son mari, il se demande à nouveau si son dernier souffle peut avoir un effet météorologique. Cette démarche romanesque, ce rapport poétique à la vie se nourrit alors d’un questionnement scientifique sur la notion de l’effet papillon : « quelle était la durée minimum entre le battement d’ailes d’un papillon et un changement notable de la météo ? Quelle était la distance moyenne entre ces deux événements ? Et pendant combien de temps mon mari pourrait-il influencer la météo de France, d’Europe, du monde ? »
Commence alors une véritable enquête scientifique sur cette théorie qui l’amène à la découverte des expériences humaines faites sur les nuages comme leur ensemencement avec l’iodure d’argent, les recherches pour s’en servir comme armes de guerre, la démarche artistique de Monsieur Moo qui veut ensemencer les nuages lors d’une performance pour faire réfléchir aux conséquences de cette manipulation des nuages. Il rapporte plusieurs théories et aboutit à une question qui, en tant qu’avocat, l’interpelle : à qui appartiennent les nuages ? L’enquête scientifique devient recherche juridique pour faire reconnaître le droit des nuages auprès de l’UNESCO.
Mathieu Simonet donne ainsi à voir un processus possible d’écriture écopoétique : entre littérature dont il affirme le « besoin fondamental de frôler la réalité, sans jamais s’y engouffrer totalement, pour en extraire un autre monde, de manière presque hypnotique », et démarche politique : « Pour ce livre, évidemment, je ne me sens pas exactement dans la même situation que lorsque j’écris un roman purement « autobiographique ». J’ai conscience de son enjeu politique. Par conséquent, je suis plus pointilleux sur la réalité des faits : j’ai à cœur d’être transparent sur ce que je sais et sur ce que je ne sais pas. »
Je ne vous révélerai pas les rebondissements et les informations étonnantes de cette enquête qui n’aboutissent cependant pas à l’affirmation d’une théorie :
« mon objectif n’est pas d’imposer un avis mais plutôt de mettre sur la table, le plus simplement possible (parce que je ne suis pas un spécialiste de la question, je suis juste un amateur de n’auges, comme la plupart des enfants et des adultes – c’est peut-être une des choses qui nous relie : nous avons tous été touchés par les nuages, à un moment de notre vie, quelle que soit notre histoire), de mettre sur la table donc, en vrac, des éléments historiques, scientifiques, juridiques, éthiques, de tout jeter dans l’ordre ou le désordre ; et de voir ce qu’on peut en tirer, non pas comme certitudes mais comme méthode ».
C’est bien l’originalité de cette forme de récit : le lecteur fait réellement partie du récit. Et pas seulement pour jouer avec les indices donnés par le texte mais bien pour devenir un acteur comme l’y invite non sans humour l’auteur : « ce livre a notamment pour objectif d’être lu par au moins un ambassadeur ou par une ambassadrice (si vous en connaissez un, contactez-le immédiatement, prêtez-lui ce livre, cessez votre lecture) », idem si vous lisez cet article !
Il nous invite surtout à « penser autrement le monde. Autrement la nature. Avec poésie et rigueur ». L’auteur nous rappelle que ce n’est réservé ni aux spécialistes ni aux écrivains, mais que cela concerne chacun d’entre nous : « il y a un défi démocratique, pour nous, les amateurs, c’est-à-dire pour l’immense majorité des hommes et des femmes, de s’emparer sérieusement d’enjeux tels que celui-ci, avec les armes à notre disposition. Fussent-elles sommaires, anciennes, ébréchées. »
Mathieu Simonet nous fait entrer dans son propre processus créatif pour nous montrer le chemin. Il met en scène la façon dont se sont croisés pour lui les fils de sa vie intime, la quête de savoir, de compréhension du monde qui l’entoure et l’écriture. Il s’agit bien d’écrire, de raconter des histoires pour chercher à comprendre, pour agir, comme il l’explique dans l’entretien sur les ateliers avec les lycéens : « la poésie a un impact réel sur le monde ». Il le met en œuvre dans ce récit qui donne envie au lecteur de participer à son action. En cette 3e journée internationale des nuages, à vos plumes pour décrire les nuages et vos paréidolies !
Dernier livre paru : La Fin des nuages, Julliard, septembre 2023, 208 pages, 20 euros