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Photo du rédacteurVirginie Poitrasson

Virginie Poitrasson : « Grâce à Duras, je me suis autorisée dans l’écriture à hurler, et plus seulement à murmurer »

Dernière mise à jour : 16 juil.




Interroger l’héritage durassien au contemporain, c’est se tourner vers la poésie pour y retrouver dans l’écriture cette tentation du poétique qui a toujours su travailler la voix de Duras.  Qui d’autre que Virginie Poitrasson, autrice notamment du magistral Tantôt, tantôt, tantôt pour venir avec Collateral mesurer la part de Duras qui nous hante toujours.

 

 

Comment avez-vous découvert Marguerite Duras ? Un livre ? Un film ? Une pièce de théâtre ? Ses entretiens ? Quel a été votre réaction après la « rencontre » avec cette écrivaine ?

 

J’ai découvert Marguerite Duras avec son roman Un barrage contre le Pacifique que j’ai lu quand j’étais jeune adolescente. Son écriture souple et limpide, le sujet dépaysant ainsi que la singularité des personnages m’ont beaucoup marqué et m’ont donné la sensation d’une immense liberté. C’est ce qui m’a inspiré le plus chez elle : sa capacité à dire, à faire, à être exactement ce qu’elle voulait dire, faire et être, cela se sentait dans ses phrases, dans leurs rythmes et dans la densité qu’elle mettait dans chacun de ses mots. Il n’y a pas de mot en trop chez Duras, chaque mot a sa place et il a la place de se déployer pleinement et surtout d’être entendu et d’être vu. Ses mots se déploient de façon extraordinairement naturelle dans l’espace.

 

 

Pourriez-vous me citer : le livre, le personnage, la phrase de Duras qui vous ont le plus marqué.e ? Pourquoi ces choix ?

 

Je suis très sensible à ces écrits, tels que La vie matérielle et Écrire. Dans son livre Le Ravissement de Lol V.Stein,  Lol V. Stein, figure à moitié oubliée d’elle-même, imprévoyante, effrayée et à la fois imprudente m’a beaucoup marquée. Il y a aussi son film India song où elle questionne son rapport à l’image et au texte dans le cinéma. Elle en parle dans ses Dialogues avec Jean-Luc Godard : « J’ai besoin des deux choses, sur l'écran, qui ne gênent pas ce que j'appellerais "l'amplitude de la parole". En général, je trouve que toutes les images, ou presque gênent le texte. Elles empêchent le texte d'être entendu. Et ce que je veux, c'est quelque chose qui laisse passer le texte Tout mon problème, c'est ça. C'est pour ça qu'India Song je l'ai fait en voix off. » Jean-Luc Godard lui répond alors :  « Qui laisse passer le texte, qui l'emmène, aussi ? Comme un navire emmène une cargaison ? »

La phrase : « Écrire, c'est hurler sans bruit »

 

 

Qu’est-ce qui vous fascine le plus chez elle ? Sa langue hyperbolique, anaphorique, ses silences ? Ses sujets atemporels qui reflètent, comme la parole du mythe, la mémoire à la fois collective et individuelle du XXe siècle ?

 

C’est sa lucidité, sur la situation des femmes qu’elle évoque notamment dans la section « Les hommes » dans La Vie matérielle. Elle souligne constamment que quand une femme parle, cela pose forcément problème à des hommes. Comme dans son film Le Camion, où l’héroïne qui expose ses idées et raconte sa vie au chauffeur du camion, dérange et devient objet de discrimination : « C’est une femme qui parle. Et la première suspicion, elle porte là-dessus », déclarait-elle dans Cinéma 77 lors de la sortie du film. Duras incrimine l’homme qu’elle met en scène dans le film parce que celui-ci veut faire valoir sa parole dogmatique et « essaie de ramener toujours la femme dans son lieu qui est un lieu clos, le lieu de l’asphyxie ».

 

 

La « modernité » de son écriture, celle qu’elle a nommée dans les années 1980 « écriture courante », impatiente de s’exprimer, au plus près de l’intention orale et de l’inspiration créatrice a-t-elle inspirée votre œuvre ?

 

Encore une fois, c’est en la côtoyant et en la relisant que j’ai gagné assez de confiance et d’espace de parole pour dire ce que j’avais à dire comme je voulais le dire, à ma façon, et non à la façon d’une telle ou d’un tel, c’est cet immense espace de liberté qu’elle déroule dans ses phrases abruptes, tranchées, si justes et précises. Et je reprends cette phrase que l’on trouve dans Écrire : « Écrire, c'est hurler sans bruit. » Grâce à elle, je me suis autorisée dans l’écriture à hurler, et plus seulement à murmurer ou à chuchoter. Je me suis affirmée et dire : « Je suis une femme qui s’affiche, qui affiche sa langue… et je suis aussi une femme d’intérieur, une femme qui se touche avec les mots. » Là réside toute sa modernité, toute sa force pour moi, quand elle décloisonne la femme de la sphère privée et l’intègre à la sphère publique encore et encore.

 

 

Duras encore ou on la confie à l’histoire littéraire ?

 

Duras encore, car la femme qui parle, est toujours aujourd’hui, celle qui doit être redoublement encore et encore pour être entendue, pour être visible.

 


(Questionnaire et propos recueillis par Simona Crippa)



 

Virginie Poitrasson, Tantôt, Tantôt, Tantôt, Le Seuil, « Fiction & Cie », mars 2023, 144 p., 17 €

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