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David Christoffel : "Pour que la transmission soit créative, sans doute faut-il se délester de tout ce qui en ferait une activité spécialisée"

Photo du rédacteur: Sylvie GouttebaronSylvie Gouttebaron

David Christoffel (c) DR


David Christoffel est docteur en musicologie. Voici le "site de David". Tout y est dit et mieux encore : http://www.dcdb.fr. On y voit qu'il est auteur d'Opéras parlés, de livres de poésie, d'essais sur la musique, d'articles, d'entretiens... la liste y est complète et époustouflante. 

On retrouve le génie de son approche musicale et parfaitement poétique au fil de son Metaclassique - la musique et au-delà, à retrouver ici.

Nous vous recommandons de ne pas en manquer une miette. 

David Christoffel et la Maison des écrivains ont une histoire amicale et professionnelle. Il participe, en tant qu'auteur, à de nombreux programmes d'éducation artistique et culturelle que nous menons avec les académies franciliennes. Il est aussi un modérateur complice de nos Enjeux depuis leur création. 



En quoi diriez-vous que votre vie est vouée à la transmission ?


Dans un premier temps, mon projet de vie était de humer le temps. Et en prenant conscience que  humer le temps prenait une saveur particulière dans certaines formes d'interaction, j'ai donc prêté une attention accrue aux dédales réflexifs que le partage d'un tel projet pouvait induire. Et comme les questions n'ont fini de s'ouvrir à force d'humer le temps et d'en parler à des auditoires éloignés, voire indisponibles à ces manières de faire vie, je devais encore plus joyeusement compliquer les choses à plusieurs, par le fil des échanges. C'est pourquoi je multiplie encore les fils et ne peut donc m'arrêter de recevoir et d'émettre et de transmettre tout ce qui permet de mieux humer le temps.



Parlez-nous de votre "médium" ?


Du fait de cette sensibilité à l'effet de ses irisations sur la parole, je suis spécialement excité par ce que la radio me permet de dire que je ne pourrais pas dire sans elle. Je suis donc vigilant à ce qu'elle appuie dans la parole, agite en articulations entre les registres, mais aussi standardise dans les styles de parole. C'est bien pourquoi je ne fais surtout pas uniquement de la radio et pourquoi je cherche, par exemple, à inventer des dérèglements partout où j'entends dire qu'il y a une magie de la radio.



Avez-vous une « méthode » ?


Je ne sais pas si on gagne à le penser en "méthode", mais j'ai comme un tic. Chaque fois qu'il y a du "bien entendu" dans l'air, je me demande si on ne pourrait pas faire autrement. Et je tâche de mettre en place des conditions différentes. C'est comme si je devais humer le temps à l'encontre de ce que je redoute imaginer que l'on me demande et, à partir de là, j'élabore des stratégies alternatives à la congruence entre ce que je peux donner et ce qui est attendu. Comme ladite congruence présente le risque de devenir la seule finalité des échanges, il vaut toujours mieux mettre n'importe quoi que je pourrais avoir à donner à la place. Il s'agit donc de tout faire pour que ce n'importe quoi soit toujours possible, quitte à accepter de passer pour un poète. 



La transmission est-elle, pour vous, une sorte de création collective ?


Pour que la transmission soit créative, sans doute faut-il se délester de tout ce qui en ferait une activité spécialisée. Chaque fois qu'elle se formule en termes de "bonnes pratiques", de "trucs qui marchent"..., la médiation sacrifie à un utilitarisme qui reconduit une séparation des tâches - l'émetteur d'une part, le récepteur d'autre part - qui condamne ses opportunités créatives. Ce qu'il s'agit de créer collectivement sont d'abord des conditions favorables pour vivre une sorte d'expérience où le temps passé ensemble se rentabilise moins qu'il ne se hume. 



Pourquoi transmettre ?


Parce qu'il y a plus fondamental à se partager que des communications, on pourrait croire qu'à ne pas faire attention à ce qu'on dit, on finit par être écouté de travers. Mais en faisant attention à ne pas faire attention, je me suis aperçu que ce n'était pas forcément à ce moment-là qu'on m'écoutait beaucoup mieux ou nécessairement moins bien. J'ai l'impression d'avoir plusieurs fois vérifié qu'il n'y a pas de rapport entre les efforts d'intelligibilité et la qualité de la compréhension en retour. Si bien que les recommandations à la Nadia Boulanger qui demandent de faire des efforts pour arriver à régler son propre niveau d'intelligibilité, m'ont toujours semblé factices. Plus on fait attention, moins on arrive à corriger les malentendus. Par conséquent, l'importance de transmettre est une telle évidence qu'elle ne doit pas nous laisser croire qu'on peut tout à fait se faire comprendre ou qu'on doit s'aliéner à en faire l'enjeu de nos vies. 



Avez-vous le sentiment, ou l'impression, à chaque opportunité qui vous est donnée de transmettre, d'observer "l'objet" de la transmission comme une figure neuve, réinventée parce que partagée ?


S'il y a réinvention à chaque fois, c'est parce qu'il y a d'abord le risque d'être rattrapé par l'utilitarisme. Et ce risque n'est pas diminué par l'expérience. L'opportunité de créer est la face joyeuse d'une nécessité de retrousser les appels à l'efficacité. Ce n'est qu'une face. 



Que désirez-vous ajouter à ces précédentes questions ? 


Depuis le temps, si ma méthode avait vraiment fonctionné, on n'en serait pas là. Quand Boileau dit "Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage", je ne suis pas sûr de pouvoir lui répondre. J'en suis largement à plus de deux cents cinquante et le monde va de plus en plus mal...


La 15e édition du Festival "Littérature, enjeux contemporains" de la Maison des écrivains et de la littérature, qui, cette année, a pour thème "Transmettre", se tiendra les 10, 11 et 12 octobre au Théâtre du Vieux-Colombier (Paris) en partenariat avec Collateral.



Entrée libre





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