Il faut interroger ce mot de transmission.
Dans sa dimension d’enseignement, en tant qu’enseignant-chercheur à l’université, on peut dire que l’enjeu de ma vie professionnelle a été la transmission. J’ai profondément aimé enseigner, j’ai profondément aimé la relation vivante avec les étudiants. J’ai créé et dirigé des organismes de formation, j’ai participé à la création de filières, de diplômes. J’ai inventé des logiques de formation et j’ai pu en créer les conditions de mise en œuvre, aux niveaux internationaux, nationaux et régionaux.
Mais ce mot de transmission ne me satisfait pas, car il sous-entend que l’on dispose préalablement de quelque chose (connaissances, savoir attitudes…) qu’il s’agit de faire passer à d’autres. Comme s’il fallait remplir chez autrui un manque, un vide, par des propriétés que je possède.
On voit la limite, ainsi que l’idéologie sous-jacente, de ce vocable.
Bien entendu, il n’est pas faux de dire que quelqu’un peut posséder certaines compétences, par son expérience accumulée. Il est fondé de vouloir -y compris d’exiger- que celles-ci soient partagées. Cela est important, car l’accaparement de compétences permet l’accaparement d’un pouvoir. Le partage de compétences est une nécessité pour une société réellement démocratique.
En ce sens, je peux dire que ma conception et ma mise en œuvre de dispositifs de formation ont été fondées sur cette logique de partage, plutôt que de transmission. Philosophiquement, politiquement et pratiquement, ce sont des conceptions et, donc, des démarches différentes.
En ce sens, je peux dire que mon activité artistique -l’écriture et la mise en scène théâtrale- a été guidée par cette logique. Cela peut sembler paradoxal quand on se réfère aux stéréotypes de ce qu’on imagine du théâtre comme spectacle. Mais si on parle plutôt de représentation artistique, qui articule deux significations, l’acte de symbolisation et le temps de l’actualisation scénique, alors, je pense que l’on peut me comprendre.
Mes textes pour la scène sont construits autour du témoin, de celui ou celle qui rend compte des faits, de l’Histoire, de ce qui nous arrive. Le témoin est une figure de la transmission.
Alors, si j’accepte le mot transmission au sens que je lui donne, je dirais que j’ai toujours eu le souci de trouver le médium, les formes qui me permettent de partager les interrogations, de susciter une réflexion, plutôt que de donner des réponses dont je prédispose. Cette préoccupation a donné le sens de ma démarche à la fois intellectuelle et artistique. Voilà pourquoi j’ai, également, en permanence, écrit et milité pour une garantie de la vie démocratique, notamment dans la culture.
Michel Simonot est auteur de littérature dramatique. Son parcours est parfaitement original et "double", puisque la sociologie, qui l'a occupé longtemps, a fait de lui un "expert" de la chose publique en matière de politiques culturelles. Action, création et réflexion sont étroitement liées dans sa vie, ce qui lui permet de nous éclairer à maints égards.
Notons, entre autres :
La langue retournée de la culture – Editions Excès, 2017
Delta Charlie Delta – Éditions Espaces 34, 2016
Le But de Roberto Carlos – Éditions Quartett, 2016
Merry Go Round, 2016 – Roms & Juliette, 2012 – Éditions théâtrales, Groupe Petrol
L’Extraordinaire Tranquillité des choses – Éditions Espaces 34, Groupe Petrol, 2006
La serveuse quitte à quatre heures – Actes Sud-Papiers, 1991
En 2021, est paru Traverser la cendre, aux Éditions Espace 34
Vous pouvez découvrir la création Traverser la cendre dans une mise en scène de Nadège Coste, l'interprétation de Laetitia Pitz et la composition musicale de Gilles Sornette. Création lumières Emmanuel Nourdin et réalisation de la première capsule par Giovanni Di Legami. Un spectacle de la Cie des 4 coins.
En 2024, Fugue, paraissait aux Éditions théâtrales.