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Photo du rédacteurViolaine Binet

Véronique Tadjo : L’origine de la violence (Je remercie la nuit)

Dernière mise à jour : 25 sept.


Véronique Tadjo (c) DR




No small talk.  Sa voix porte loin. L’écrivaine franco-ivoirienne Véronique Tadjo imbrique parole intime et panorama social pour s’emparer des enjeux-clé du Continent : le génocide de la population tutsi (L’Ombre d’ Imana, voyage jusqu’au bout du Rwanda, éd Actes Sud, 2000), l’aspect parfois redoutable des mythes  (Reine Pokou, récompensé du Grand prix Littéraire d’Afrique Noire, éd. Actes Sud 2005), ou l’épidémie d’Ebola (En compagnie des hommes, éd. Don Quichotte, 2017) 

 

Je remercie la nuit paru en août, revient sur la guerre civile déclenchée par l’élection présidentielle de 2010 en Côte d’Ivoire. Deux candidats, Laurent Gbagbo et Alassane Ouattara, s’arrogent alors la victoire des urnes. Les milices des partis adverses s’affrontent pendant des mois. Le bilan humain est de 3000 morts. L’auteure retrace ces évènements tragiques à travers le regard de deux étudiantes liées d’amitié à l’Université d’Abidjan. Yasmina, réservée, vient de Korhogo, cité déshéritée du Nord du pays. Flora, qui a grandi à Abidjan, « ogresse » aux trois millions d’habitants, est plus émancipée. Les jeunes filles partagent une chambre vétuste et la même attente d’une vie meilleure après l’obtention d’un Master. Tandis que la nation s’effondre, leurs efforts semblent réduits à néant. Plus de cours. La grève illimitée à l’Université, mais surtout, les agressions subies sur le campus les contraignent à revoir leurs plans. 

 

Dans une seconde partie, l’intrigue se focalise sur l’expérience de Flora exilée en Afrique du Sud, son parcours du combattant pour réussir à terminer son cursus. L’écrivaine souligne en parallèle que la vie n’est pas rose au sein de la nation arc-en-ciel, en particulier pour la génération des born-free, nés après la fin de l’apartheid. D’évidence, l’avenir de la jeunesse ici et là en Afrique l’intéresse en priorité, elle* qui a enseigné dans nombre de pays, dirigeant notamment à Johannesburg le département de français de l’université du Witwatersrand. 

 

Revenir sur la crise de 2010 en Côte d’Ivoire apparaît ainsi comme une mise en garde. De nouvelles élections s’y tiendront en effet l’an prochain. Le texte l’illustre bien, l’origine de la violence se trouve dans le virus de « l’ivoirité », sorte de préférence nationale accordée aux Ivoiriens de souche. Selon Véronique Tadjo, il court toujours. 


Ce beau roman fait néanmoins rempart au pessimisme. Si l’extérieur menace, l’intériorité prédomine dans la narration, provisionnant l’espoir. Le choix des personnages principaux met en avant la vulnérabilité des femmes dans les conflits, leurs corps facilement meurtris, mais aussi leur cicatrisation, l’extraordinaire capacité d’adaptation dont elles font preuve. Incarnation de la fracture ethnique, la peau des jeunes filles devient une ligne frontière. Car ce récit de guerre est aussi celui de l’initiation amoureuse. A propos, pourquoi ce titre : Je remercie la nuit ? Parce que la nuit est l’espace fécond de la création. Un refuge pour les étudiantes, rédigeant leurs travaux, envers et contre tout, sous un ciel plein d’étoiles.  




Véronique Tadjo, Je remercie la nuit, Mémoire d'encrier, août 2024, 302 pages, 22 euros

 

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