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  • Photo du rédacteurSandra Moussempès

Autofiction, trauma et féminisme - De Cassandre et Lilith : mes figures du quotidien II

Dernière mise à jour : 23 mars


Sandra Moussempès (c) DR


"Je quitte le laboratoire du doute par une petite porte

Je vois mon double recouvrir de neige rouge une poupée

Entachant la première page de ce livre enfoui"

                        Sandra Moussempès, Cassandre à bout portant (Flammarion)

 

C'est par  une écriture scarifiée, que je voulais révéler la beauté obscure des figures mythique en tant que « camera oscurra ». Lilith et Cassandre qui  prédisent, prévoient, pressentent, maudissent, adorent, pleurent, hurlent ou charment. Mon livre Cassandre à bout portant(1) est parcouru de lames, de larmes vitrifiées, d'objets tranchants, de guns, de silences, d' implosions/explosions, de visages sans visage. Explorant la violence à travers l'autofiction et va les icônes féminines, stratifiés dans mon esprit. Lilith est un peu sorcière, sirène controversée et tout comme Cassandre elle n’entre pas dans le clivage de la "maman et la putain". N'est pas là où le patriarcat voudrait la trouver. Quant à Cassandre, sa complexité tient à une négativité apparente mais télescopée par sa beauté et son étrangeté. En écrivant cet ouvrage sur la prophétesse je retournais à cette obsession que je tisse autour du féminin. Je sortais d’un livre sur la voix fantôme et les tessitures et juste avant sur les sœurs Fox et la télépathie. Un objet féminin non identifié s’est imposé à moi. Avec des images filmiques latentes. Au travers du mythe de Cassandre, il était nécessaire d’évoquer la notion de trauma. Dire sans dire. Tous mes livres sont traversés de ces présages auto-fictifs. Un jour quelqu'un à qui je me confiais, m'a dit : "Tu as déjà toutes les réponses à tes questions dans tes livres précédents". Il releva ce passage de mon livre "Captures"(2):

 

Recoudre à l’envers & patiemment toute déconvenue

jusqu’à la bonne surprise

des évasions programmées

                        Sandra Moussempès, Captures (Flammarion)

 

Ce sont mes propres captations intérieures qui sont ainsi reconduites dans mes poèmes et via le cinéma, la photo. Cindy Sherman est une autre Cassandre auto-fictive, photographiant les vestiges et stéréotypes du féminin. Dans Vestiges de fillettes j’écrivais autour et au-delà de ses photos, sans les photos. Cassandre est en moi depuis la naissance par fragments et télescopages. Elle et Lilith sont les deux facettes d'une même pièce. Mon poème intitulé Virgin suicide (Lithium girls) est inspiré du livre et du film mais aussi des failles auto-fictives qui rendent perméable une atmosphère.


Virgin suicide

(Lithium girls)

 

Le groupe de sœurs blondes peut aussi se comprendre comme “conglomérat d’adhésions à une pensée commune”

 

Une seule version pour cinq créatures briefées avant l’audience

Selon que je procède à la désintégration d’une des s?urs       

Il en reste toujours une avec l’esprit de l’autre      

 

Où sommes nous ?

Quel jour sommes-nous ?

 

Dans la chambre de la maison abandonnée     en pleine forêt    

            l’armoire délabrée convoque

des souvenirs de robes à smocks et des musiques planantes

une seule règle : c’est toujours moi qui chante   

J’ai vu des tiroirs bien plus insidieux se vider de souvenirs anodins

Et l’essentiel d’une vie se déverser sous nos souliers

                                               Sandra Mousempès, Cassandre à bout portant (Flammarion)

 

J'ai été collaborer à des colloques qui questionnent le lien poésie-musique et poésie-cinéma. En 2023, j'ai été conviée une nouvelle fois au Centre Pompidou pour le festival Extra ! par Jean-Max Collard, à évoquer mon livre Fréquence Mulholland (3) puis au colloque « Zigzaguer » également à Beaubourg, pour évoquer le lien au cinéma et au spiritisme dans mon travail lors de la journée  "Hanter les images, les images hantées"(4). Mes poèmes ont été publiés dans Les Cahiers du Cinéma à cette occasion. L'axe cinéma-son-spiritisme rejoint le féminin prophétique. L'écriture de soi pour lutter contre les emprises telles qu'elles soient.  Ce sont d'ailleurs aussi les failles et les discours à contre-courant qui m'intéressent, l'étrange, le non convenu. ce qui fait l'humain, le trouble, l'incongru. Se livrer comme une révélation à soi qui touche d'autres personnes est un sacerdoce.

Dans Cassandre à bout portant, je crée une armée de jeunes activistes qui avancent dans une forêt où elle perdent leurs racines. Le mystère s’épaissit tout comme la végétation qui les entoure. On ne sait pas vraiment d'où elles viennent ni par qui par quoi elles sont poursuivies quand elles changent d’époque et arrivent en 1972 dans une maison abandonnée restée en l’état. On sait juste qu’elles sont Américaines d’une ville/syncope de Californie. Elle restent groupées près de la forêt qui colmate et qui engloutit à jamais un mystère. Cassandre et Lilith pourraient être nos propres mémoires archivées dont on ne souvient pas. Ce pourquoi je dis souvent que j'habite dans mes livres. Ces élément collectés, émotions, souvenirs, appartiennent à un mode révolu comme des tableaux qui penchent dangereusement et des idées noires de Doomy girls. J'ai révélé un épisode dans mon livre Sunny girls via un poème en colonnes ; à l'âge de 13 ans, moi et une copine, avions été droguées à notre insu dans un bar à Paris où une amie de 15 ans de cette copine tenait à nous amener, j'ai appris ensuite que la fille se droguait et comptait nous "offrir" en échange d'une dette. J'ai eu l'intuition, déjà si jeune, qu'il fallait fuir au plus vite, ma copine commençait à avoir des hallucinations, Le lendemain on nous a envoyées quand même en colonie de vacances comme cela était prévu. Il n'y a pas eu d'investigations malgré les répercussions. Une forme d'inertie.

 

Dans Cassandre à bout portant j’évoque une « Prison vortex » (le titre d’un poème), c’est la prison singulière du sensible, de même qu’on parle de personnalité borderline, autistique, médiumnique ou télépathique, ma définition du poème serait ce qui se place dans un cortex de ma réalité. Le supra-sensible est un monde parallèle que je refaçonne par le verbe. En cela le poème rejoint la photo. J'évoque la mode du développement personnel, du bonheur en kit, avec les coachings en tous genre, les stages de retour à soi ou de yoga tantrique, cette fille parfaite de la série Black Mirror qui prépare son mariage et passe son temps à faire du yoga ou des sales coups à l'héroïne un peu paumée qui rêve d'ascension sociale. Ou dans Fréquence Mulholland : "une femme fait son yoga à côté d’une piscine. Mais tout peut s’écrouler, d’un instant à l’autre," faire exploser cette « tranquille » paix intérieure. J'y convoque aussi la notion d'emprise dans la sphère amoureuse. Les violences psychiques sont parfois pires encore que la violence physique. C'est plus retors et invisible.

 




Site de l'autrice : Sandra Moussempès 


Notes

(1)Sandra Moussempès, Cassandre à bout portant (Flammarion 2021, Prix Théophile Gautier de l'Académie Française) Cassandre à bout portant - Sandra Moussempes - Flammarion - Grand format - Librairie Gallimard PARIS (librairie-gallimard.com) 

(4)Sandra Moussempès, Boucles de voix off pour film fantôme, Colloque Zigzaguer, "Hanter les immages, les images hantées" Centre Pompidou novembre 2023

(5) Sandra Moussempès, Sunny girls (Poésie Flammarion 2015) Sunny girls - Sandra Moussempès - Librairie Mollat Bordeaux 

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