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Artémis n’a jamais chassé que les chasseurs

  • Photo du rédacteur: Sophie Loizeau
    Sophie Loizeau
  • 10 déc.
  • 8 min de lecture
Artémis assise - Fresque de Pompeï (c) DR
Artémis assise - Fresque de Pompeï (c) DR

      – Les hommes méprisent les animaux, après les avoir adorés – une véritable fascination : 90 % des dessins pariétaux sont des représentations d’animaux.

       – C’est prêt ! Si ma Dame veut bien se donner la peine… Pier s’est mis en quatre. Artémis lui sourit, s’installe.     

     – Ils méprisent les animaux d’être restés des animaux. Ils leur en veulent de n’avoir pas cherché à sortir de leur condition, d’avoir accepté sans broncher cette vie de merde, la faim, la peur, le froid. La servitude qu’il a été si facile de leur imposer plus tard. De n’avoir pas eu l’ambition d’échapper à ce destin. La grande idée du feu n’a pas circulé, a stoppé net devant leur cache, tanière, souterrain, trou. Cette inertie leur rappelle leur vie de merde à eux, quand les bêtes féroces rôdaient. Ce trauma de quand ils étaient des proies.

     Elle pique ses pommes de terre d’un coup de fourchette rageur. Et lorsqu’ils prélèvent leur quota de chamois, ils ne tiennent pas compte des loups qui sont les autres chasseurs – des chasseurs pleins de discernement. Même ils râlent, ils se sentent lésés. Les chamois sont donc doublement chassés. Ce doublon n’est pas sans conséquence sur les populations d’ongulés. Les hommes doivent se retirer, leur concurrence n’est pas seulement sans objet, elle favorise la prédation du loup sur les troupeaux. Ce déséquilibre est à l’origine de la rupture du pacte qui avait été passé il y a longtemps entre les hommes et les loups.

     Artémis est en forme, quand elle attaque comme ça c’est bon signe.                             

     – Le lièvre s’était réfugié sous le houx. J’étais à Arnouville chez des amies. Tu ne les as pas connues, non, quand l’une est morte, l’autre a préféré partir. Nous étions sur la terrasse en train de déjeuner lorsqu’il a surgi. Des chiens ont bientôt fait leur apparition, ils le traquaient depuis un bon moment, la bête avait l’air hors d’haleine, les chiens aussi. Manquait plus que le chasseur. Connaissant le talon d’Achille du jardin, cette foutue clôture, nous nous attendions à le voir débarquer d’une minute à l’autre. Il est arrivé le fusil chargé, sur les dents. Cette intrusion était vraiment scandaleuse, la recherche, la poursuite ou l’attente du gibier, considérées comme des actes de chasse, sont interdites sur des terres dont les propriétaires ont fait savoir qu’als n’y autorisaient pas la chasse – ce qui était le cas de mes amies, engagées comme nous dans un bras de fer avec les chasseurs dans ce coin des Yvelines où les bosquets ne sont pour les sangliers et les chevreuils que de méchants refuges et où le dimanche n’est pas jour du Seigneur pour tout le monde. Au nom du droit de suite, il nous a expliqué qu’il venait achever la bête, qu’elle lui appartenait. Sauf que le lièvre était bien vivant, qu’il n’avait à première vue subi aucun dommage physique, que c’était la peur qui le faisait frissonner et demeurer immobile sous les feuilles piquantes du houx. L’arbre aurait pu le dissimuler aux yeux de l’homme, quant aux chiens… Le lièvre savait ne rien pouvoir espérer d’eux. Des traîtres. Et bien souvent mal récompensés. Maltraités.

     Mes amies ont déjà eu maille à partir avec les chasseurs. Il y eut la tête de chevreuil jetée en punition dans leur poubelle, des insultes peintes en rouge sur le mur de leur maison, leur chat à qui on avait rasé les moustaches... Les chasseurs sont rarement punis pour leurs mauvaises actions. L’alcoolémie n’est même pas prise en compte lors d’un d’homicide ! Et comment dit-on pour l’animal : animalicide, bestiacide ? Ils refusent les alcootests et les contrôles de la vue que nous voudrions leur imposer. Mais tu le sais aussi bien que moi. II est arrivé que des cerfs soient forcés jusque dans les rues, jusque dans les cours d’école, jusque dans les maisons. Je connais le cas d’une famille qui a été témoin de l’abattage d’un cerf dans son salon ! Imagine, tout l’équipage de vénerie qui débarque chez toi… La curée n’étant pas un acte de chasse, la meute a pu dévorer le reste du cerf sur le tapis, devant les enfants. Une plainte a été déposée pour assassinat et pour violation de domicile. Les viandards ont été reconnus coupables d’avoir mis en danger la vie d’autrui, mais du côté du cerf, rien. Ils ont été suspendus de chasse pendant un an et ont dû s’acquitter d’une amende ridicule. Le droit français les protège presque à chaque fois.

 

      Elle s’étire, bâille, jette une jambe hors de la couette, se ravise. Elle s’extrait non sans mal. La cuisine. Pour y parvenir, elle doit subir aveugle et nue toute une série d’épreuves. La larve marsupiale en quête de nourriture au sortir de l’utérus ne fait pas autrement. Ça pourrait être du Pier, le jeu des comparaisons, tout ça. Il dit que la réveiller c’est la ramener au harpon du fond de l’océan. Plus larve que sirène ce matin, elle enfile le kimono de sa mère et prépare son petit déjeuner. Elle tranche le pain, le grille, le beurre tant qu’il est chaud, surveille le lait dans la casserole, le verse dans un mug sur le sucre et la cuillerée de café soluble.

     Elle regarde par la fenêtre, cinq heures en février, le jour tarde à venir, à huit il y aura cette lueur derrière les marronniers et la montée prodigieuse d’un gros soleil. Ou pas, les nuages peuvent ne laisser poindre qu’un peu d’orange. Samedi. Elle part rejoindre son équipe de têtes brûlées. Les gens de SPT. Stériliser Plutôt que Tuer est une fédération de vétérinaires, d’éthologues, de naturalistes. Les chasseurs appartiennent à un âge révolu, exception faite de ceux qui ont choisi cette existence sauvage exclusive. Prends par exemple en France, chasser n’a pas de sens ! Oui, je sais, les sangliers défoncent les sols, foutent en l’air les cultures. Dans la forêt ils ameublissent la terre et favorisent la germination des graines. Trop de gibiers et pas assez de loups, d’ours, de lynx.

      L’homme évolué comme il est ne peut plus tuer pour tuer, c’est mon avis. Tu sais comment ils font avec les sangliers ? Ils les parquent et tirent dessus à bout portant. Chasse en enclos, qu’ils disent. Alors nous on attrape tout ce qu’on peut cerfs, sangliers, chevreuils, on laisse les renards et les blaireaux tranquilles – ils s’autorégulent très bien. Avec les lapins on procède comme pour la vaccination du loup d’Ethiopie, on éparpille sur les champs, à l’entrée des terriers des appâts bourrés de pilules contraceptives, Ils prennent ce qu’ils peuvent, c’est plus aléatoire. Le but n’est pas non plus de les stériliser tous !  On suit un protocole strict, chacun/e son carré, sauf pour les gros animaux où on se tient à plusieurs. Mais les bénévoles ne manquent pas, les gens trouvent la chasse dégueulasse. Les plus révolté/es sont ceux / celles qui, parti/es pour se mettre au vert, se retrouvent à devoir supporter les coups de fusil, les allées et venues sur leur terre d’hommes armés. Qui tuent leurs chats, gâchent leurs promenades, als en ont marre, als ont quitté la ville, troqué leur appartement contre une maison à la campagne, une vie plus proche de la nature, als sont en colère et déçu/es. Une poignée d’individus chassent, pourtant ce sont eux, cajolés par les préfets qui imposent les règles, qui règnent sur nos forêts, sur nos montagnes, sur nos littoraux ! Bien sûr qu’on a peur, on a tout le temps peur. De se faire tirer dessus pardi ! Ils nous en veulent. Leur alibi ne vaut pas un clou : nous limitons les populations, en l’absence de prédateurs naturels nous nous chargeons du rôle.

      Chaque bête stérilisée porte une boucle d’oreille jaune bien visible. Après ça, en descendre une est une pure vacherie.

      Artémis enfile des vêtements chauds, ses fringues spéciales pour crapahuter dans les bois. Repérer, isoler les jeunes mâles, endormir, castrer. Ça paraît fou, et c’est fou. Aujourd’hui on s’occupe des cerfs, ils sont faciles à choper, c’est l’époque de la perte des bois, leurs hormones sont au plus bas ça les rend vulnérables. D’anciens chasseurs nous aident, ils ont assisté à des chasses pourries, vu des hommes se conduire de façon ignoble, plutôt arrêter tout. Certains pensent qu’on est débiles, qu’il suffit de suspendre tout nourrissage, tout élevage de gibiers pour rétablir une population normale de cerfs, de sangliers, de faisans. Tant que l’état l’autorise… Aux préfets le pouvoir de décider l’ouverture d’une action de chasse en dehors des périodes légales. Encore maintenant, dans la plupart des départements, le renard peut être piégé, déterré, tiré, de jour comme de nuit, toute l’année, c’est une ESOD. Ah, bon ? Elle se rappelle être intervenue pour stopper l’extermination de quatre renardeaux.      

 

      – Avec votre cortex cérébral plus développé, c’est seulement aujourd’hui que vous nous reconnaissez une sensibilité ? Serait en droit de dire le renard. Enfin, le reconnaissez-vous aux animaux de compagnie, pas aux animaux sauvages, la plupart d’entre nous ne bénéficions d’aucune protection. Devant le déchaînement des pulsions, nous sommes nus, nous sommes comme des enfants. Pensez, nous n’avons aucun jour de répit, dans une semaine de chasse, tous les jours sont chassés, il n’y a qu’en France que ça se passe comme ça, partout ailleurs, la chasse fait une pause. Et quant aux bêtes qui vous nourrissent et aux bêtes qui vous soignent, dont le corps sert aux inoculations et aux tests … Pas de souffrance inutile est-il écrit quelque part, tu parles ! Mais si la vieille carnivorie malgré tout ça vous travaille, alors faites-en sorte que les mises à mort soient miséricordieuses : la piqûre létale plutôt que l’étourdissement. Et interdiction d’entrer dans la forêt avec un fusil !

      – Promis !

      – Le morcellement des territoires est devenu un vrai casse-tête pour la poignée de prédateurs. Comment se tailler un territoire à soi sans traverser des routes, sans passer près des hommes qui vous le reprochent, qui vous reprochent de lorgner vers leurs troupeaux laissés sans surveillance, alors que les chasseurs vous font concurrence pour les proies ?

Vous avez plus que ce qu’il vous faut dans vos enclos. Parfois j’en vois de ces bêtes de boucherie, je me tiens en lisière et je les observe. Elles broutent ingénument. Celles-là ne sont pas les plus à plaindre. Quand on a vu comme moi sur la route, passer des bétaillères pleines jusqu’à la gueule d’animaux vivants, senti l’odeur de leur peur. Le droit français devra réviser sa copie là-dessus. Les avancées sont décevantes, se veulent trop consensuelles. L’OFB lui-même tremble sur sa base. Privé de moyens, il peine à exercer son rôle de police de l’environnement, avec les chasseurs-tueurs-pollueurs-imposteurs tout le temps dans ses pattes, à se plaindre qu’on les persécute. Quels geignards ceux-là !

        – Pas faute d’avoir essayé, je t’assure, une pétition a été lancée sur change.org pour la création d’une police des animaux, qu’ils soient domestiques ou sauvages. La Commission des lois l’a classée ! Plus de 94 000 personnes y étaient favorables.

      – Toute la théorie de l’évolution est à revoir et sur le plan éthique ça va faire mal. Il n’y aura plus deux poids deux mesures. Pensez, tirer une biche, égorger un agneau, ce sera comme tirer une femme, égorger un bébé. Le problème, c’est toute cette violence ! Le mâle humain est dominé par ses pulsions, ses désirs de pouvoir, d’expansion et d’asservissement de l’autre sont en train de détruire le monde ; il est trop irrationnel. Prenez la religion, poursuivrait le renard…

 

     On a dû transporter Artémis à l’hôpital et maintenant elle est là, quelques jours, pour le choc à la tête, la côte fracturée, les contusions. Le cerf mal anesthésié continuait de lutter – malgré tous nos soins pour les rendre moins pénibles, ces captures sont traumatisantes – tentait de se relever, balançait la tête, signifiait à tout le monde l’outrage que nous étions en train de commettre sur sa personne. La castration tue le brame, bien sûr, ce faisant anéantit l’existence même de ses grands fauves que sont les cerfs. Je me suis dit que nous n’avions pas le droit de faire ça. Nous n’avions pas la clairvoyance de réguler notre propre reproduction et nous régulerions celle des autres ? Oui, mais les chasseurs comptaient là-dessus, sur notre sens de l’honneur, notre compassion à SPT. Il suffisait d’attendre, nous nous lasserions, trop de travail, de la violence encore, rapts / castration, pour nous qui étions des écolos, des citadin/es, des hors-sol…  

      Elle jette l’éponge. Pier sera soulagé.

      Tant que les prédateurs naturels ne seront pas de retour chez eux avec l’assurance d’un vrai plan de protection, tant qu’il y aura prolifération de ces bêtes-martyres élevées puis relâchées dans la nature et tirées, tant que l’État ne prendra pas ses responsabilités et continuera de bichonner les lobbies de la chasse, la FNSEA& tutti quanti, il y aura des types très à l’aise, des sadiques, pour montrer quel boulot utile ils font pour équilibrer tout ça. 

 

Le Mat et autres broderies, en cours d’écriture

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