top of page
  • Photo du rédacteurJohan Faerber

Catherine Tourné Lanskine : « Le mot désir me semble le plus important pour parler de ce qui a présidé à la création de la collection poche »


Catherine Tourné Lanskine (c) Capture d'écran


Evoquer les collections de poche des maisons indépendantes comme Collateral s’attache à le faire depuis le début de cette semaine consiste également à aller voir du côté des éditeurs de poésie. Quelles sont les initiatives possibles dans un marché totalement dominé par l’hégémonique collection « Poésie / Gallimard » ? Quelle place peut alors être laissée et quel catalogue développer ? Autant de questions auxquelles Catherine Tourné Lanskine, à la tête des passionnantes éditions LansKine qui viennent de précisément lancer une collection poche, a bien voulu répondre le temps d’un grand entretien.


Ma première question voudrait porter sur la décision qui a présidé à la fondation de votre collection poche lancée l’an passé avec deux titres : L’accouchée de Florence Pazzottu et La Cité dolente de Laure Gauthier. Comment est ainsi né chez vous le désir de lancer votre collection poche ? Quel était pour vous l’objectif éditorial premier : s’agissait-il à la fois d’affirmer votre ligne éditoriale et partant de venir renforcer la visibilité de votre maison ?

 

Le mot désir me semble le plus important pour parler de ce qui a présidé à la création de la collection poche. Désir de publier des textes disparus mais aussi de proposer des livres de poésie moins chers. Étudiante, je n’achetais pas de livres de poésie car trop onéreux et ce n’est pas dans les bibliothèques qui souvent ont un rayon de poésie extrêmement clairsemé (et même là, avec une présence écrasante des classiques) que j’aurais pu découvrir les auteurs contemporains. Donc en premier lieu, permettre une rencontre avec la poésie contemporaine qui ne dépende pas de l’argent. Néanmoins, et cela me semble très important, j’ai souhaité que le livre de poche LansKine reste un bel objet, avec un format original, du beau papier, des cahiers cousus, une belle couverture pensée pour chaque titre. Poche ne rime pas avec moche ! 

 



Parlons, si vous le voulez bien, des deux premiers titres que vous avez choisi de faire paraître en poche dans votre catalogue. Vous avez ainsi publié l’an passé, coup sur coup nous l’avons dit, L’Accouchée de Florence Pazzottu et aussi La Cité dolente de Laure Gauthier : si ces deux textes explorent des voies poétiques résolument différentes, ils ont pourtant éditorialement un point commun : il s’agit, en effet, de deux rééditions de textes parus précédemment. Qu’est-ce qui vous a guidée, éditorialement, dans le choix de ces deux rééditions ? Est-ce que vous concevez ainsi votre collection de poche comme un vecteur de réédition de volumes majeurs, devenus rares ou pour certains même introuvables en librairie ? S’agissait-il aussi de venir appuyer vos lignes éditoriales en renforçant, par exemple, la présence dans votre catalogue d’une autrice comme Laure Gauthier ?

 

Certains livres que j’avais beaucoup aimé étaient introuvables et il me semblait nécessaire de les republier. Les deux premiers livres en poche sont les titres de deux autrices qui sont déjà aux éditions LansKine. Il était donc pertinent d’approfondir la vision de leur travail en rendant accessible des ouvrages que l’on ne pouvait plus trouver en librairie. Le choix d’un titre peut-être aussi dû à une rencontre ou découverte fortuite. Alors que j’étais invitée pour le Prix des Découvreurs, Dominique Quélen a lu des extraits d’un livre « Câbles à âmes multiples » publié aux éditions Fissile, magnifiques éditions qui ont malheureusement disparu. Le texte m’a semblé passionnant, j’ai alors demandé à Dominique de me l’envoyer et il fait maintenant partie de la collection poche.

Le format poche, moins onéreux que les grands livres, permet aussi de proposer une vision d’ensemble de l’œuvre d’un ou une poète, ainsi une anthologie du travail poétique de Elke de Rijcke vient-elle de paraître. Deux autres anthologies sont prévues pour 2024 autour du travail d’Hélène Sanguinetti et de Sophie Loizeau.

 Le format poche permet donc la réédition de livres devenus introuvables pour beaucoup de raisons mais, et cela je ne l’avais pas prévu, certains textes poétiques et politiques dont la publication me semblait urgente, a entrainé le choix de cette collection. De même, Jean-Philippe Cazier avait le désir de rassembler ses articles critiques parus dans Diacritik autour des livres de Jean-Michel Espitallier, Liliane Giraudon et Frank Smith, qui seront aussi dans cette collection.

En fait, si le désir de proposer des textes devenus introuvables d’auteurs et d’autrices contemporaines était le but premier, comme souvent aux éditions LansKine, celui-ci s’est enrichi en fonction des manuscrits proposés et des discussions avec les poètes.

 

 

En peu de temps, les éditions LansKine que vous dirigez ont su s’imposer sur la scène éditoriale par leur catalogue exigeant et votre défense intransigeante de la poésie. Une question cependant ne manque pas de se poser : en tant qu’éditrice indépendante et cultivant farouchement cette indépendance, quel est le modèle économique auquel répond votre collection poche ? On sait les forts coûts de diffusion et de marketing que supposent toute collection de poche : en tant qu’éditrice indépendante, les objectifs sont-ils identiques ?

 

Par son format, le livre de poche, même si, comme je l’ai dit précédemment, je reste très attachée à la beauté et la qualité de l’objet livre, permet des coûts d’impression moindre, une plus grande souplesse, un risque financier un peu moins important. Pour l’instant, la collection commence à s’installer et beaucoup de libraires l’apprécient et m’en disent grand bien. Mais comme pour tous les livres de poésie, il faut organiser lectures et rencontres. Vous le savez peut-être, les éditions LansKine participent à un café/librairie/lieu culturel parisien « L’ours et la vieille grille » que Paul de Brancion et moi-même avons créé. Ce lieu est principalement tourné vers la poésie et la littérature d’aujourd’hui. Le destin du livre de poésie dépend de la passion du libraire pour ce type de texte. Le livre de poésie doit être transmis et porté jusqu’au lecteur.

 

 

Une autre question éditoriale vient à se poser quand on évoque les collections poche en poésie : l’hégémonie de la collection « Poésie » chez Gallimard qui, à la fois, fonctionne sur un catalogue patrimonial, comme un poche de La Pléiade, et comme vecteur de diffusion de la poésie contemporaine. Comment vous situez-vous par rapport à cette collection qui occupe presque un monopole ? Est-ce qu’œuvrer à une collection poche entièrement dédiée au contemporain est une réponse possible à ce monopole ? Envisagez-vous l’édition de classiques que revisiteraient par une préface ou une postface des autrices ou des auteurs contemporains ?

 

Je n’ai pas le désir de me situer par rapport à la collection « Poésie » Gallimard, ce n’est pas ma manière de penser du tout. Nous faisons notre travail, certains avec des moyens plus importants que d’autres, mais à mon niveau, j’essaie de proposer des textes que je trouve nécessaires. Tant mieux si d’autres le font, et l’on peut citer aussi la collection poche POL ou Castor astral. Le but est de faire connaître et de défendre des textes que l’on aime, c’est avant tout un métier de passion. Que les contraintes économiques soient fortes, que les maisons d’éditions de poésie soient fragiles, je le sais puisque la collection poche est aussi une manière de continuer à faire vivre des textes dont les maisons d’édition ont disparu.

 



 

Enfin ma dernière question voudrait porter sur les prochains titres à paraître de votre collection poche. Quels seront-ils ? Et quelle ligne éditoriale souhaitez-vous renforcer ou, au contraire, développer ?

 

Beaucoup de projets pour cette collection, continuer les anthologies, deux prévues en 2024, les publications de textes introuvables et de nouveautés avec un projet qui me tient particulièrement à cœur, un livre de Frank Smith Deleuze memories. Texte poétique autour de la philosophie de Deleuze, qui démontre montre encore la liberté et la force de la poésie qui s’inscrit souvent dans l’ensemble d’un projet plus large.

 

bottom of page