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Lénaïg Cariou : Jeux de mots / Jeux de mains / Réorientations (à main levée ou sur les doigts d’une main)

Photo du rédacteur: Adèle CassigneulAdèle Cassigneul



Chaque fois que des mains se meuvent, le sens du désir se redéfinit. Si nous osons revendiquer nos vies comme nôtres, nous devons lire tous les poèmes que nous écrivons avec notre corps.

 

Minnie Bruce Pratt, il/le

(trad. Mirza-Hélène Deneuve, Blast, 2023)



1. Malicieuse magicienne, Lénaïg Cariou transcrit à main levée les poèmes du corps. Incorporant dans le langage commun un savoir charnel, elle observe, attentive et patiente, la bascule des sens. C’est la main du désir lesbien qui préside, pirouette, girouette la langue en quelques tours de passe-passe langagiers qui me font double-entendre.

 

Cachées-montrées   les mains s’agitent

prestidigitatrices

c’est une danse érotique

 un rêve

main  

danse  

monde

chorégraphie d’amour

  linguistique

 

« nudité des nudités »     c’est une page blanche

c’est une curiosité

 

En cinq temps, la poétesse lance une conversation. Invite, appel, cri. Je, tu, elle. Ça jouit. La poétesse incite à « manuvorer / du bout de la langue ». Des syllabes plein la bouche, ça s’agite. De ses doigts habiles, elle déplie le verbe courtois des manipulations sémantiques. Sa langue de mains réorganise mon vocabulaire.

 

2. L’enjeu est, par la main, de trouver un autre verbe. Faire permuter, habiter différemment la langue. Par agglutinations charnelles, Lénaïg Cariou joue des mots pour faire saillir pluralité, réversibilité, variations de sens. Elle pétrie le langage, travaille sa sensuelle plasticité. Les jeux de mots jaillissent.

 

« Croquer       ton corps

 

ma langue      virevolte

 

manesquissée

 

ta nudité

 

tracée

à coups de dents

manuditée »

 

C’est une poésie dévorante. La main est une langue qui suce, caresse, mordille le corps. L’amante aimante puis les vers girent. Vrille l’étymologie. « Man- », le radical indo-européen à l’origine du mot « main », se décline en d’infinies possibles : « manibuler, manuvorer, manuminer, manouer, manusiter, manesquisser, maninspirer, maneffleurer, maner, mâner ». Les listes s’allongent et mettent en page un peau-à-peau érotique.

 

3. Le discours des mains amoureuses me transmet un secret frissonnant. C’est une réinvention de monde. Dans la paume tendue, les images poussent, s’épanouissent. La page se calligramme en fougère, lierre, nénuphar. De vers en vers, ça dissémine pour réancrer, incarner. Curiosité, mouvement déclenchent, propulsent. Dans le creux de sa paume, la poétesse collectionne les verbes d’action.

 

La poésie c’est la métamorphose des mains en visage, en paysage. Des figures de main à mémoire de forme. La main est un visage nu : bouche, langue, paupière. Main nue comme les lèvres. La bouche, le sexe. Ça chavire. La main lèche, articule les plaisirs.

 

« Laisser mes doigts

 

infiniment

dire et redire

ces lignes

courbes et lascives

 

les sucer

(susurrer)

entre le pouce et l’index »

 

4. Parfois la main mute en créature sensible. Insatiable curieuse, chercheuse, voyageuse. Elle explore, virevolte autonome dans l’entre-deux des choses. Envers-endroit, à la lisère, dedans-dehors, pli-dépli, plein-vide-plein. Elle furète, joue, palpe, ouvre des entremondes. Infatigable, la main pulse, établit un contact, articule les plaisirs. Elle est tendre et nue, vulnérable et vaillante. Jusqu’à l’orgasme, avant de s’endormir chaude comme un chat fatigué.

 

5. Je me rends compte que dans sa démultiplication, la main échappe. Nommée, elle s’évade ailleurs, à la fois lourde et légère. Et ses déplacements incessants, ses dérives continues inachèvent les poèmes en un jeu de cache-cache sans cesse recommencé. Elle apparait/disparait dans le flou, les surimpressions, les duplications ombreuses des images. Elle fuse et s’élance, réoriente l’alphabet. En un mouvement, elle est recueil et déploiement, s’avance plus avant.

 

Je referme le livre

happe happe la main

le poème

pour mille pages

encore

 





Lénaïg Cariou, A main levée, éditions LansKine, juin 2024, 88 pages, 15 euros

 

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