Lectures sous l’arbre 2025 : une « aventure collective » prête à écrire une nouvelle page de son histoire
- Delphine Edy
- 25 août
- 9 min de lecture

Dans cette 34ème édition réinventée des Lectures sous l’arbre, il a bien sûr été beaucoup question de littérature, et les chroniques de la semaine passée s’en sont fait largement l’écho. Mais il fut aussi question de poésie : la séquence Poésie étrangère, chaque matin, à 9h, à l’église de Saint-Voy a rencontré un vif succès. L’édifice du début de l’art roman, construit en granit et en lauze, aux formes simples et épurées, au cœur de la verdure, est particulièrement propice au recentrage sur soi et à l’apaisement émotionnel.

Les Lectures sous l’arbre ne sont pourtant pas seulement dédiées aux livres. Elles proposent différentes sortes de dérives, capables d’éveiller nos sens et de réveiller nos esprits : dépasser le texte et le livre en débordant sur d’autres arts, le cinéma, la musique, la performance théâtrale, et, aussi, l’art visuel. Elles nous permettent d’excéder le simple statut d’auditeur.ice/spectateur.ice en devenant soi-même agentif.ive au sein d’ateliers de pratiques, de convoquer le terrain créatif rural avec le temps fort « Voisins/Voisines », permettant de créer des effets d’échos avec le reste de la programmation.
Or, si arts, ateliers et territoire sont à l’honneur, cela ne peut se faire que grâce à une structure bénévole riche et déterminée. Voici donc le programme de cette dernière chronique !
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Deux artistes avaient été invités à exposer cette semaine : Ito Naga, bien connu des festivaliers des Lectures, et Yves Dimier qui a proposé une double exposition – une installation in situ, « La Forêt imaginaire » et « Portraits d’arbres » à la Grangette. Lors de sa rencontre avec le public, l’artiste – dont l’atelier se trouve dans le Beaujolais à Oingt (1) – a rappelé comment l’ouvrage de Junichirô Tanizaki, L’Éloge de l’ombre (2), avait été fondateur pour son propre travail de calligraphie. De cette « école de la patience », il a retenu que la calligraphie, c’est, avant toute chose, « ce qu’on est à l’intérieur de soi », « un chemin de vie » qu’on arpente à son rythme.

Sur ce chemin, il a rencontré un arbre, en Lozère, qui lui a lancé un appel à le dessiner. Dès lors, les croquis d’arbres s’accumulent dans son carnet. Il les transpose ensuite en cultivant les trois trésors de la calligraphie asiatique – encre, papier, pinceau – et a à cœur de partager sa rencontre avec le vivant via ce mode de représentation qui fait du ressenti (et non de la reproduction fidèle) son essence même. Yves Dimier insiste sur le fait qu’il s’agit toujours et encore de s’exercer, qu’il faut rester modeste et qu’une part d’indicible fait intégralement partie de la démarche, lorsqu’il s’agit de canaliser l’énergie comme si le trait ne lui appartenait plus. La rencontre avec l’artiste est au moins aussi forte que celle avec ses œuvres : le public est saisi par cette personnalité humble, ouverte, heureuse de partager, de donner à sentir, tout en faisant l’éloge de l’étonnement et du doute. Il a su trouver le rythme des festivaliers, très nombreux à parcourir les deux expositions : « J'ai eu des retours dingues. C'est merveilleux ce que je vis ici. C'est un échantillon d'humanité, intéressé par l'art, la lecture, le sens des choses. Peut-être aussi – et surtout – avec une expérience de la vie. Ce sont des gens qui sont en recherche d'eux. Oui, c'est ça. Finalement, il y a eu un écho qui s'est fait naturellement entre un public de lectrices et de lecteurs et des œuvres d'art qui viennent interroger un rapport à la nature, au temps, à l'espace, au dessin, à l'écriture de la nature. C'est ça qui résonne ».

« Si le trait est sincère, il est forcément juste, il est forcément beau ». Tout comme le mot semble-t-il, dont il apprécie la compagnie qui l’influence et à laquelle il emprunte : Laurent Tillon (Être un chêne, 2023), Hélène Dorion (Mes forêts, 2023) ou Giono ne quittent pas sa table de chevet… En prenant congé, nombreux sont celles et ceux qui semblent avoir envie de se lancer dans l’aventure avec un bâton à encre.
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Cette année, l’un des ateliers de pratique – en parallèle de celui de lecture à voix haute de Laurent Soffiati toujours pris d’assaut – était consacré à l’écriture érotique, de quoi attiser la curiosité et séduire certains festivaliers. Ils se sont retrouvés à huit autour d’Emmanuelle Jay, art-thérapeute et psychanalyste, rompue aux ateliers d’écriture et autrice de plusieurs ouvrages (3) : cinq femmes et trois hommes. Léa, parisienne, 24 ans, n’écrit pas, mais elle a eu envie de tenter l’aventure : « c'était beaucoup de curiosité, un peu d'audace et, je dirais, une volonté d'exploration ».
Le programme concocté par la coach était clair : « sous la forme de jeux d’écriture stylistiques et sensoriels, aborder toutes les nuances d’éros : de la sensorialité au sulfureux en passant par le subversif ». La journée commençait par « un échauffement littéraire assez chouette, notamment avec des listes, histoire de réveiller sa plume le matin ». Léa y a vu un parallèle avec le fait qu’Emmanuelle Jay soit aussi boxeuse : « elle voit vraiment l'écriture comme un sport où il faut se muscler et elle préconise de pratiquer tous les jours une heure. Il y a des jours où on est plus ou moins inspirée, on l'a vu tout au long de la semaine. Mais oui, je pense que plus tu écris, plus tu te muscles, comme en sport. Et c'est intéressant d'être à plusieurs et de se challenger ». L’aventure collective a visiblement été une réussite. « On disposait chacun d’un joker qu'on pouvait utiliser pour ne pas partager nos textes et personne ne l’a utilisé. On a écrit des textes érotiques qui nous ont mis parfois au défi, en fonction de nos personnalités et des thématiques, mais l’atmosphère de travail généreuse et conviviale fait qu’on n’a jamais résisté au partage ». Pour Emmanuelle Jay, « l’érotisme c’est le « jeu » par excellence. Jeux de mots, jeux de danse, implicite et détournement, on s’amuse avec la langue ! », une belle manière de faire vivre l’éros « qui se ré-invente pour chacun et dans le groupe » dit-elle.
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L’une des volontés du festival était également de donner voix à celles et ceux qui habitent le territoire, au moins une partie de l’année, qui y sont enracinés. Cela s’est fait au cours d’une session intitulée « Voisins/Voisines » où se sont suivis Pascale Maret, Pascal Riou, Anne Sibran, Didier Tronchet et Brigitte Baumié. Notre attention particulière s’est portée sur le dernier ouvrage de Didier Tronchet, une bande dessinée, Le Cahier à spirale, dernier opus d’un cycle personnel paru chez Dupuis.

Alors que la rentrée littéraire se profile (dont les grands journaux/magazines se font l’écho) et qu’elle met à l’honneur romans familiaux et récits de filiation, ce Cahier à spirale frappe, tant il s’inscrit dans la même veine : armé d’un simple cahier, l’auteur est parti à la rencontre de celle qui détient la plus grande part de vérité : sa mère. Sans se départir de son humour et de son sens de la formule (dont le public a pu jouir tout au long de la rencontre), Didier Tronchet retrace son enquête en relatant événements de vie majeurs et anecdotes familiales, sans renoncer à la fictionnalisation qui s’impose quand son personnage principal devient autonome et vit sa propre vie dans le livre. Ce travail lui a donné l’occasion de faire sien l’adage de Marie-Hélène Lafon : « les choses se découvrent en se faisant », de sorte que ce livre a permis la découverte d’une mère qu’il ne connaissait pas et de lui pardonner, ce que Danielle Maurel identifie comme une littérature de la « réconciliation », de la « libération ».
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Alors que cette semaine de festival s’achève et que le monde de la culture souffre peut-être plus que jamais d’une politique nationale et régionale qui semble avoir oublié le message de Jean Vilar après-guerre, et se refuse à être à la hauteur des vrais enjeux contemporains, il faut plus que jamais souligner que ces manifestations culturelles estivales n’existeraient pas sans l’énergie, le dévouement et la détermination d’une armée de militant.es prêt.es à en découdre.
Serko, le régisseur son-lumières du Calibert pour les Lectures, a longtemps travaillé dans l’automobile, et pourtant toujours trouvé le temps de participer aux Lectures passées : c’est au moins son dixième festival, mais le premier en tant que bénévole. Quand il a compris à l’été 2024 que l’avenir du festival était incertain, qu’on ne pouvait plus compter sur les soutiens nationaux ni régionaux, il a décidé de s’engager aux côtés d’autres pour ne rien lâcher de ce bien commun : « Tout ce qui est littérature m'interpelle, tout ce qui est relatif à la chose humaine. Or la littérature est l'une des choses humaines parmi les plus importantes. La création artistique également. Ma préoccupation première dans ma jeunesse, c'était la musique ». Son engagement est lié à la volonté de prolonger cette belle aventure, « assez unique quand même, je pense. Je ne suis pas certain que ça existe beaucoup ailleurs ce genre de rencontres ». Assurer la continuité donc, alors même que Serko anime une association depuis quelques années « Aubrac en plateau » qui organise chaque rentrée un festival de spectacles vivants à Saint-Côme d’Olt (4). Il faut croire que l’engagement appelle l’engagement et que la culture appelle la culture, à bon entendeur salut !
À côté de Serko, ce sont plus de quarante bénévoles qui ont travaillé pendant des semaines pour faire de cette semaine sur le plateau du Vivarais-Lignon une réussite. Gérard – que l’on a croisé souvent à la buvette/guinguette ces jours et qui semble ne pas avoir décéléré de la semaine – tient à dire que « tout ça n’a été possible que grâce à Dominique Rouchouze », le président du Calibert en scène, tant « il a une capacité extraordinaire de rassembler ». Et puis le cadre aussi a été très inspirant et vivifiant : « C'est beau. Il y a des arbres. Ça sent bon. Et les gens disent... Qu'est-ce que c'est cool ! » Les chiffres sont visiblement très bons, la fréquentation a été massive et l’équipe de bénévoles semble très confiante pour la prochaine édition : de nouvelles recrues se sont annoncées, même si Dominique Rouchouze et André Bertrand, le président de Typographie et Poésie ont eu à cœur de rappeler qu’il faudrait que l’équipe de bénévoles se rajeunisse un peu s’il s’agit de pérenniser les Lectures. Un autre enjeu se dégage aussi, celui de faire en sorte que l’équipe de bénévoles trouve le temps – et la légitimité – de participer aux Lectures. La nouvelle équipe devra avoir en tête qu’il faut œuvrer en ce sens et les inciter par divers moyens à troquer leur casquette de bénévole pour celle de festivalier. Encore un écho à Jean Vilar qui resurgit sur la pelouse du Mazet-Saint-Voy. Preuve que la question du « populaire » est loin d’être une histoire du passé.
André Bertrand et Dominique Rouchouze en sont pleinement conscients. L’échange avec ce duo organisationnel de choc a été passionnant : revenir sur l’histoire des différentes générations de néo-ruraux, sur le rapport à la lecture dans le domaine privé, sur les questions d’accessibilité et d’élitisme dans le monde rural, permet de prendre vraiment conscience des enjeux qui sont ceux d’un tel territoire et de mesurer le travail effectué, les petits pas, et surtout, la détermination de ces hommes et de ces femmes à faire commun, à jouer collectif, à créer un lieu de partage pour toutes et tous. « Financement, administration, couverture juridique et assurances, liens avec les partenaires financeurs… logistique, fournitures, chapiteaux… », sont les clés de la réussite d’une manifestation culturelle et artistique qui s’impose comme un franc et massif succès, aussi pour « des gens du pays pour qui les Lectures sous l'arbre parlaient peu », précise Dominique Rouchouze. « Cela peut permettre de collaborer à quelque chose de culturel qui sort du quotidien et dont on ne se pensait pas capable. Qui nous dépasse individuellement, mais qu'on est capable de mettre en forme collectivement », complète André Bertrand.

Tout cela n’aurait pas été possible sans le travail d’Elsa Lovy, la seule salariée du festival, engagée à mi-temps. Alors qu’elle est chargée de diffusion sur la scène musicale du territoire autour du Puy-en-Velay, elle a accepté de s’embarquer avec cette équipe mi-rôdée et mi-renouvelée, elle insiste sur cette « expérience très formatrice. Jean-François Manier, c'est le top de l'organisation ». Si elle reconnait que ce fut lourd parfois et épuisant souvent, elle se réjouit à l’idée que cela puisse se réitérer l’an prochain. Et surtout, ce fut l’occasion pour elle de s’intéresser aux auteur.ices et artistes programmé.es : « je m'étais mis un objectif de lecture beaucoup plus grand que ce que j'ai vraiment réalisé par faute de temps. Mais à terme, oui, je pense que ça va me donner envie de davantage rentrer personnellement dans la programmation ». Voilà qui actualise également un des grands principes de Jean Vilar « Le public d’abord, le reste suit toujours ».
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Dans son discours de clôture du festival, Jean-François Manier a eu l’occasion de le rappeler : ces 34 éditions n’auraient jamais pu voir le jour si le collectif n’avait pas toujours été le maître-mot de ces rencontres. À partir de 2026, cette « aventure collective » se poursuivra sans son fondateur, sous la direction artistique de Danielle Maurel qu’on a eu l’occasion d’entendre en dialogue avec nombre d’écrivaines et écrivains au cours de cette semaine. Et l’on souhaite tout le meilleur pour cette aventure humaine, littéraire et artistique qui a encore mille pages à écrire.
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Un grand merci à Hervé Nègre, photographe professionnel, d’avoir accepté d’offrir gracieusement à Collatéral ses très belles photos. Pour découvrir son travail, rendez-vous sur son site https://negreherve.fr.
Notes :
(1) Le site d’Yves Dimier donne un bel aperçu de ce qui se trame dans son atelier : https://yvesdimier.com.
(2) unichirô Tanizaki, L’Éloge de l’ombre, trad. par René Sieffert, Verdier, 2011.
(3) Pour en savoir davantage sur ses activités : https://www.emmanuellejay.com
(4) L’édition 2025 aura lieu du 14 septembre au 5 octobre, tous les dimanches à 16h.