Agnès Castiglione & Denis Labouret : "Si Michon occupe ainsi une place mieux reconnue et mieux comprise dans la Cité, il y a là un « geste politique »"
- Johan Faerber
- il y a 7 jours
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En prélude au Salon de la Revue qui se tiendra cet automne et dont Collateral est de nouveau l’heureux partenaire, Agnès Castiglione et Denis Labouret, qui dirigent les très beaux Cahiers Pierre Michon, ont accepté de répondre à nos questions. L’occasion pour eux de revenir sur leur entreprise éditoriale d’ampleur qui place en son centre l’auteur de la Vie de Joseph Roulin.
Comment est née votre revue ? Existe-t-il un collectif d’écrivains à l’origine de votre désir de revue ou s’agit-il d’un désir bien plus individuel ? S’agissait-il pour vous de souscrire à un imaginaire littéraire selon lequel être écrivain, comme pour Olivier dans Les Faux-Monnayeurs de Gide, consiste d’abord à écrire dans une revue ?
La revue des Cahiers Pierre Michon est une publication de l’association des Amis de Pierre Michon. Comme toutes les associations du même type, très nombreuses en France, celle-ci se destine à mieux faire connaître l’œuvre de son écrivain, Pierre Michon, et à contribuer à son rayonnement. C’est à ce titre qu’elle encourage les échanges, études et recherches en organisant ou soutenant rencontres, colloques, journées d’étude, conférences et toutes manifestations culturelles en lien avec l’œuvre de cet auteur. Et c’est dans le même esprit que l’association a créé en 2023 les Cahiers Pierre Michon en vue de diffuser textes, études et documents divers sur l’auteur et son œuvre en partenariat avec les PUR (Presses universitaires de Rennes).
Cette revue constitue aussi un indispensable outil de liaison entre des adhérents souvent fort dispersés – jusqu’au Japon en ce qui nous concerne – qu’elle sollicite, consulte, stimule et informe de l’actualité de l’œuvre de l’auteur.
Quelle vision de la littérature entendez-vous défendre dans vos différents numéros ? Procédez-vous selon une profession de foi établie en amont du premier numéro ?
Notre tâche consiste donc à proposer – sur l’œuvre de notre auteur Pierre Michon – des études universitaires de qualité qui mobilisent plusieurs spécialités, croisent les disciplines et ainsi enrichissent la lecture de notre auteur. Par exemple, le numéro 1 de notre revue, « Pierre Michon et le XIXe siècle », s’est attaché, en mobilisant des spécialistes de ce siècle, à entrer dans le dialogue très fécond instauré par l’œuvre de Michon avec les grands auteurs et les grandes œuvres qui l’ont précédée. Toutes les approches critiques sont donc légitimes et bienvenues dès lors qu’elles contribuent à éclairer tel ou tel aspect de l’œuvre. Prôner une « vision de la littérature » claire et unique serait contraire à l’esprit de notre auteur et trahirait la complexité de son œuvre.
Comment décidez-vous de la composition d’un numéro ? Suivez-vous l’actualité littéraire ou s’agit-il au contraire pour vous de défendre une littérature détachée des contingences du marché éditorial ? Pouvez-vous nous présenter un numéro qui vous tient particulièrement à cœur ?
Nous pouvons, en effet, suivre aussi l’actualité éditoriale de notre auteur. C’est évidemment le cas avec ce numéro 2 (« Dans le courant des Deux Beune ») qui paraît aujourd’hui, entièrement consacré aux Deux Beune, éclatante publication de Michon en 2023, unanimement saluée par la critique.
Les études rassemblées dans ce Cahier se sont donc attachées à éclairer la genèse et la richesse d’une telle œuvre qui – depuis sa conception sous le titre de L’Origine du monde à la fin des années 1980, jusqu’à la publication de La Grande Beune en 1996 et celle des Deux Beune en 2023 (Verdier) – aura occupé quelque trente-cinq années de création. Le dossier rassemble des études de spécialistes examinant tour à tour un intertexte d’une grande richesse, des thèmes et des procédés d’écriture qui éclairent d’un jour nouveau ce récit dense et crypté.
Le numéro propose aussi chaque fois des textes de Pierre Michon lui-même en lien avec le titre du dossier : textes rares, parfois très anciens, dispersés dans des revues ou entretiens difficilement accessibles qui éclairent la lecture de l’œuvre. Il propose en outre, très éclairants eux aussi, des fac-similés de brouillons, carnets et notes de l’écrivain.
À la création de sa revue Trafic, Serge Daney affirmait que toute revue consiste à faire revenir, à faire revoir ce qu’on n’aurait peut-être pas aperçu sans elle. Que cherchez-vous à faire revenir dans votre revue qui aurait peut-être été mal vu sans elle ?
Nous cherchons en effet à éclairer des aspects parfois négligés par la critique et le grand public. Ce sera le cas avec le numéro 3 de ces Cahiers Pierre Michon. Intitulé « Rire avec Michon », il s’attachera à mettre en évidence une constante de l’écriture jamais étudiée jusqu’ici : la présence en cette écriture de toutes formes de comique et couleurs du rire (satire, parodie, autodérision…) ainsi que leur profondeur de sens.
« Faire revenir », c’est aussi remonter au passé pour éclairer les œuvres les plus récentes, alors que la réception immédiate reste plutôt à la surface de l’actualité. Ainsi, pour Les Deux Beune, mettre très précisément en relation le texte de 2023 avec celui de La Grande Beune (1996) qu’il intègre et dépasse, mais aussi avec le très ancien projet de l’auteur intitulé L’Origine du monde.
Est-ce qu’enfin créer et animer une revue aujourd’hui, dans un contexte économique complexe pour la diffusion, n’est-ce pas finalement affirmer un geste politique ? Une manière de résistance ?
Nous aimerions enfin, dans cette revue des Cahiers Pierre Michon – et c’est à quoi tend notre rubrique « Salutations » qui ouvre ses pages à toutes formes d’écritures contemporaines – établir un dialogue créatif avec l’œuvre de Michon en sollicitant d’autres formes d’écriture libre d’auteurs venus d’horizons très divers.
Si notre auteur occupe ainsi une place mieux reconnue et mieux comprise dans la Cité, il y a en effet là un « geste politique ». Mais la création de la revue nous semble avoir été d’abord une initiative positive (pour un auteur et son œuvre, et à travers lui une certaine idée de la littérature et de la culture), non un acte de « résistance » en opposition à telle ou telle forme d’oppression.

Cahiers Pierre Michon, Dans le courant des Deux Beunes, PU Rennes, octobre 2024, 270 pages, 25 euros.