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Blandine Rinkel : Dévier pour vivre (La Faille)

Photo du rédacteur: Catherine PoissonCatherine Poisson

Détail de couverture (c) Stock
Détail de couverture (c) Stock


On parle trop rarement du livre comme objet, or certaines maisons d’éditions font un effort certain sur cette question. Tel est le cas de Stock avec la couverture classiquement gris anthracite de leur collection, mais entourée d’un superbe bandeau publicitaire pour le dernier livre de Blandine Rinkel, La Faille. Ce bandeau reproduit sur 6 lignes en manuscript de la main de l’auteure (du moins on espère que cela n’est pas une fausse écriture générée par IA) cette faute qui fait que lorsque Rinkel écrit le mot « famille », il se lise plus souvent comme le mot « faille » : « Quand j’écris le mot famille, allez savoir pourquoi, je mange le m – on lit faille ».


Le texte, nommé récit, contient par ailleurs des notes et deux annexes, contenant cinq listes de livres, par groupe de dix telles que “ Dix livres d’arrachement brutaux”, « Dix livres de failles et d’amour », ainsi qu’une liste « Trente choses notées de mes trente ans ». Il est aussi illustré de quelques dessins et deux ou trois photos. Bref, un livre OVNI, un peu gadget aussi.


Si je devais de manière lapidaire résumer le livre je dirais la chose suivante : la famille est une cellule morbide, sclérosante et dangereuse. Il faut s’en éloigner à tout prix et l’océan est le symbole de la liberté. 

Le récit est donc une occasion pour ceux/celles qui ont opté.e.s pour la famille et pour les autres qui ne l’ont pas fait de se pencher sur le sort qu’ils/elles se sont choisi.e.s. Mais, les choses ne sont pas si simples, car La Faille est aussi une déclaration d’amour non annoncée comme telle au lectorat à cet autre (« toi » « tu ») qui n’est jamais nommé. 


Reprenons : nous avons une analyse et un semi-historique du rôle de la famille, une apologie de trajectoires et ruptures diverses (la notion de déviation étant soulignée), le paysage de la mer et de tous les plaisirs qu’elle apporte. 


Que s’est-il passé pour la lectrice que je suis ? Les montagnes russes (du moins je l’imagine car je n’ai jamais essayé). Blandine Rinkel écrit bien, vraiment très bien et j’avais été secouée et éblouie par son dernier livre Vers la Violence. Il en est de même pour La Faille, on sent une voix forte et originale. Cependant, à la lecture de son récit La Faille, je suis passée par diverses phases : enthousiasmée, intriguée et lassée.


Si le livre ne tient pas tout à fait la route, c’est qu’il comporte trop de digressions et de répétitions. D’une certaine manière le livre est trop touffu; il veut trop faire et le lien entre les chapitres est parfois trop ténu. Le chapitre 5 par exemple, est remarquable, mais il ne me semble pas fonctionner dans l’ensemble. Le fil conducteur est souvent cassé d’où cette impression de vignettes, toujours intéressantes mais qui manquent de continuité. Il faut cependant saluer l’utilisation par Blandine Rinkel de nombreuses sources qui vont de Joseph Conrad, Fritz Zorn à Richard Yates en passant par les films Une femme sous influence de Cassavetes, ou Carol de Todd Haynes pour émailler son discours sur la cellule familiale. Son désir de comprendre et d’étudier les dysfonctionnements de la famille est palpable dans l’écriture et dans les recherches qu’elle a effectuées.


Au fil des chapitres, on parcourt le désir d’échappement à la famille, la douleur et la violence que cela représente pour ceux/celles qui partent et ceux/celles qui restent car chacun.e. demeure crispé.e sur ses positions. On sent bien dans le texte cette dichotomie entre quiconque veut dévier du système généralement admis (la famille comme cocon, modèle intangible et politique régi par un chef, même si le code Civil de 1804 n’est plus appliqué) et la majorité qui semble s’accrocher comme une moule au rocher familial. Rinkel pose des questions intéressantes sur lesquels d’autres artistes se sont penchés. Je pense ici au récent film coréen de R. Yeung, Tout ira bien, qui relate le destin d’une femme qui a passé sa vie avec une autre femme, aimée et appréciée de sa famille mais qui, à la mort, de sa compagne, se voit destituer de leur appartement car elle “n’existe pas” de par la loi coréénne: elle n’est pas de la famille. Rinkel touche ainsi à de nombreux sujets qui méritent attention. 


Pourquoi dès lors mes réticences ou cet effet montagne russe mentionné plus avant ? 

Beaucoup de répétitions et d’évidences, une nostalgie du passé et de la jeunesse, mais aussi un côté moralisateur. L’impression qu’il n’y a dans le monde que deux modèles : la déviation ou la normalité, ce qui me parait bien réducteur. On peut avoir un enfant et ne pas vivre ensemble, on peut aussi être queer et souhaiter reproduire un schéma classique précisément parce qu’il vous était interdit. Par ailleurs, certains des passages qui décrivent la relation de Blandine Rinkel à son compagnon semblent surajoutées et même s’ils illustrent parfois le propos du livre, ils ne font souvent pas partie de l’ensemble. Il en est de même pour le passé et les errances de l’auteure à Londres : pas inintéressantes mais elles ne collent pas bien. 


Mais, mais, mais il y a des fulgurances dans le texte qui font qu’il mérite absolument d’être lu. Je pense ainsi, entre autres, au chapitre 14 intitulé : Insectes et tabous. Une merveille de délicatesse et d’invention. Et enfin, comment résister à cette superbe formule qui explique la passion de Rinkel, petite fille pour la lecture : « je cherchais ailleurs si je pouvais y être » ? 





Blandine Rinkel, La Faille, Stock, janvier 2025, 239 pages, 20 euros 

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