« La boule de feu repousse la mer et la soulève à près de trente mètres. Les rares bateaux à être restés dans la baie sont engloutis en un battement d’yeux. La mer recule de terreur. Même la mer… »
Raphaël Confiant, Nuée ardente, 2002
Difficile d’échapper au Belem par ces jours pré-JO. Ce voilier historique est abondamment cité depuis le choix qui a été fait de le désigner comme écrin de la flamme olympique qui, de Grèce la transporte en France ; pas un jour ne se passe sans qu’il soit évoqué aux informations. J’ai sans doute raté la citation mais il ne me semble pas toutefois avoir entendu le rappel d’un autre événement où il a été à l’honneur : la commémoration de l’explosion de la Montagne Pelée qui a effacé la ville de Saint Pierre en Martinique en 1902. Le Belem, à sa façon, était de la partie.
A cette occasion, la Fondation Belem a sollicité des écrivains et a édité chez Actes Sud, un très joli coffret de six nouvelles, L’Odyssée Atlantique - 6 nouvelles inspirées par le Belem, en 2002 pour le Centenaire de l’explosion.
Un des six auteurs, Gérard Rosenzweig, dans « D’écume et d’or sur champ d’azur », inclut dans son texte, le projet qui a permis la réalisation de ce coffret de nouvelles, en le donnant dans toute son ampleur : le voyage des six écrivains qui n’a pas eu lieu véritablement. Mais peu importe, les nouvelles, elles, existent : « Comment résister à l’idée du voyage qui se prépare : cette formidable "Odyssée Atlantique" qui, de février jusqu’à juillet 2002, va nous emmener sur toutes les routes maritimes que le Belem a suivies jadis, et nous faire jeter l’ancre dans toutes ces escales où il a relâché au cours de son premier siècle de vie. […] Nous allons remonter aux sources même de son histoire. Montevideo, le Pará, Buenos Aires, Fort-de-France ou Saint-Pierre, Cayenne, Trinidad, Aruba et aussi la Barbade : même si au cours de sa carrière marchande, le Belem n’a jamais quitté l’Atlantique à l’instar des grands clippers, il n’en a pas moins une histoire exemplaire ».
Une présence romanesque
Les romans qui ont mis en scène l’explosion de la Pelée ne sont pas rares ; tous ne mentionnent pas le Belem. On peut rappeler quelques titres. En 1949, La Caldeira de Raphaël Tardon a insisté sur l’effervescence électorale qui a étouffé l’inquiétude qu’aurait dû provoquer l’activité volcanique, antérieurement au 8 mai, car l’enjeu électoral était grand entre le Parti Blanc et le Parti Mulâtre. En 1992, dans Texaco de Patrick Chamoiseau (Prix Goncourt), le père de Marie-Sophie Laborieux, Esternome, s’est alors exilé à Fort-de-France car cette explosion a provoqué le départ de ceux qui ne furent pas anéantis mais ont vécu l’horreur de la destruction ; ce n’est qu’un épisode secondaire : « Bientôt, il n’y eut plus d’os, ni de chair ni de corps. La montagne couvrit de cendres nouvelles les mounes mortes impossibles à griller. Et le tout fondit en des pierres grises aux formes molles. Avec le temps, elles charbonnaient, sans pourrir, sans odeur ». En 2002, le roman de Raphaël Confiant, Nuée ardente, met en scène le réveil du volcan déchaînant les pulsions en une débauche qui fait oublier le danger. En 2015, Daniel Picouly, dans Le Cri muet de l’igname, insère aussi cette explosion dans le récit de la vie du grand-père du narrateur-auteur. Plus récemment, en 2021, La Malédiction de l’Indien. Mémoires d’une catastrophe. Roman biographique d’Anne Terrier est bien consacré à la commémoration de l’événement en 2002, avec le Belem en majesté :
« Dans un silence absolu, le Belem se profile à l’horizon, glissant lentement sur l’eau parallèlement à la plage. Le vent est tout juste suffisant pour gonfler ses vingt-deux voiles réparties sur trois mâts. Le plus haut mesure trente-quatre mètres. La foule frissonne en voyant passer le seul bateau survivant de cette terrible journée devenu le symbole du triomphe de la vie. C’est la première fois que le trois-mâts rejoint le lieu de sa légende ». Anne Terrier de rappeler alors le hasard chanceux qui a empêché le Belem d’accoster dans la rade de Saint Pierre et l’a obligé à mouiller au Robert : « L’apocalypse s’abat sur Saint Pierre. A l’endroit exact où le Belem aurait dû se trouver, le Tamaya et son équipage coulent par trente mètres de fond ».
Une fondation
« Le Belem (1896) est un des plus anciens trois-mâts en Europe en état et le second plus grand voilier de France. Il a été construit à Nantes, utilisé notamment dans les Antilles, puis tour à tour anglais, italien puis à nouveau français, cet ancien voilier de charge, plusieurs fois transformé, motorisé et rebaptisé pour divers usages, est finalement retrouvé par hasard à Venise dans un piteux état à la fin des années 1970, par un amateur nostalgique. Racheté grâce à l'appui de la Caisse d’Epargne, mécène de la Fondation Belem qui entreprend sa restauration, il est aujourd'hui utilisé de différentes façons. En 1984, le 27 février, il est classé monument historique ». Le Trois-mâts nantais faisait la navette commerciale vers le Brésil et les Antilles depuis 1896.
Ainsi le retour du Belem est le point d’orgue de la commémoration de 2002. L’écrin qu’il devient pour la flamme olympique en 2004 supplantera sans doute cette commémoration. L’intérêt pérenne de 2002 est le coffret de six nouvelles.
« Nouvelle » dites-vous ?
Est-il utile d’enfermer un texte littéraire dans une définition générique ? En l’occurrence ici le cadre de la nouvelle. En réalité, on sait que la position critique et théorique est de retenir la notion de genre comme hypothèse de travail pour décrire un ensemble de textes et non prescrire ce qui les assemble. Il n’est pas inutile, à ce propos, de rappeler ce qu’écrivait Gérard Genette : « Le discours littéraire se produit et se développe selon des structures qu’il ne peut même transgresser que parce qu’il les trouve, encore aujourd’hui, dans le champ de son langage et de son écriture ». Cela ne signifie pas qu’il y a répétition de « règles » ou de « marqueurs » d’un genre d’une œuvre à l’autre puisque chaque écrivain s’invente dans un canal de transmission. Et s’il y a bien un genre qui est perçu comme fluctuant et insaisissable, labile en quelque sorte, c’est bien la nouvelle. Elle présente néanmoins des constantes structurelles dans un corpus ciblé.
L’ensemble de textes que nous présentons est les six nouvelles inspirées par le Belem. En reprenant les constantes du genre, on peut remarquer qu’elles sont plus ou moins valables selon chacun des textes. La première caractéristique de la nouvelle est que c’est un récit court : cette brièveté assure une intensité d’effet, comme le remarquait Baudelaire. Il suffit qu’un texte soit long pour qu’on freine à le percevoir comme nouvelle. On attend d’une nouvelle que l’histoire « racontée » se concentre sur peu d’événements et peu de personnages et propose un enchaînement logique et chronologique. Pour équilibrer cette brièveté, le discours de la narration essaime des digressions qui donnent une profondeur au récit sans s’écarter de son motif essentiel. La nouvelle déploie aussi un traitement du temps tout à fait spécifique.
Dans les six nouvelles qui nous intéressent, le motif central est le Belem et l’accidentel qui lui a fait échapper, en 1902, à la colère dévastatrice du volcan. Les nouvelles que nous percevons comme les plus « réussies » sont celles qi ne s’écartent pas trop de ce motif. Pour certaines, il n’est cité qu’accidentellement, en fin de parcours d’écriture. Pour animer l’univers créé, les personnages ne sont pas trop envahissants mais présents sans les explications attendues dans un roman. Enfin, dans la nouvelle, chaque mot a une importance extrême. Dire devient primordial. D’où l’humour, les jeux de mots, le décalage linguistique, le choix du titre. Ce dernier évoque fréquemment un thème. Enfin, le décor est un élément dynamique du récit. C’est particulièrement vrai pour nos six nouvelles.
Un recueil de nouvelles
Des nouvelles en recueil pour célébrer une commémoration, un fait notoire ou une thématique convergente est une pratique fréquente. D’une part, la brièveté de la nouvelle est une incitation à solliciter des écrivains déjà connus, pour ne pas prendre de risque de textes médiocres ; d’autre part, le recueil permet de « faire événement » et de multiplier les points de vue sur le motif retenu avec acteurs ou actrices de la vie sociale et politique moins connus. Ainsi, une maison d’édition comme les éditions Métailié a une collection « Suites » qui éditent Des nouvelles… de différents pays, pour faire connaître leurs littératures sur une portion temporelle. Plus récemment, Actes Sud a édité, Femme Rêve Liberté, 12 histoires inédites, sous la direction de Sorour Kasmaï, participant ainsi, à sa manière, au mouvement de protestation contre les violences en Iran.
En février 2002, le Belem projeta une croisière de quatre mois et aurait fait escale à Saint-Pierre. Les six écrivains, s’ils ne furent pas du voyage, participèrent à la confection du coffret qui contient six nouvelles : Le Dernier Chant de l'Ernestine (Alain Guédé), Au-delà du méandre de ce fleuve (João de Jesus Paes Loureiro), D'écume et d'or sur champ d'azur (Gérard Rosenzweig), Sur le flanc gauche du Belem (Aminata Sow Fall), Le Testament du mal de mer (Lyonel Trouillot), Il était une fois des dauphins et des Indiens (Claude-Marie Vadrot). Les illustrations très suggestives du coffret et de chaque page-titre des nouvelles sont de Laurent Corvaisier. Né en 1964 au Havre, Laurent Corvaisier est illustrateur pour la jeunesse, peintre et enseignant. « Ses dessins, caractérisés (sont) par une luminosité exceptionnelle, un sens de la mise en scène et de la narration peu commun ».
Sur le flanc gauche du Belem, d’Aminata Sow Fall et Le dernier chant de l’Ernestine d’Alain Guédé
Aminata Sow Fall est née en avril 1941 à Saint Louis du Sénégal. On connaît la richesse de la littérature sénégalaise ; elle en est une des figures les plus imposantes. Que le Belem l’ait inspirée s’explique aussi par son attirance pour le fleuve. Dans l’extrait de l’entretien avec James Gaasch dans La Nouvelle sénégalaise: texte et contexte, en 2000, elle confie : « Je suis née et ai grandi à Saint-Louis du Sénégal, dans l'île, au quartier Sud, dans un espace planté sur le fleuve Sénégal; d'un côté le grand bras du fleuve, de l'autre côté le petit bras. Chaque matin, lorsque je sortais de ma chambre, mon regard plongeait dans le fleuve et, au loin, au-delà de la pointe Sud, j'apercevais la mer. L'infini s'ouvrait à moi et je vivais tous les jours ce spectacle avec une grande fascination ».
Au projet collectif, elle confie un texte où se côtoie comme dans son œuvre en général, description et dénonciation d’un fait de société et échappée de l’imaginaire vers une histoire qui dépasse le réel.
Une petite troupe de théâtre dakaroise attend le « per diem », l’allocation permettant aux acteurs et au metteur en scène de se déplacer dans un pays africain voisin pour jouer leur pièce. Au dernier moment, ils apprennent qu’ils ne quitteront pas Dakar à cause de l’incurie des responsables, la banque ayant reçu trop tard l’autorisation de financement. Heureusement, Ramata est là pour redonner à Fodé, responsable de la troupe, le goût d’une nouvelle création : elle lui raconte l’histoire d’Amari, revenu au pays grâce au Belem, ce bateau mythique. En choisissant le Belem comme totem d’une communauté, Aminata Sow Fall n’hésite pas à en bousculer la représentation habituelle en en faisant le symbole d’une communauté :
« - Un bateau-totem, tu ne trouves pas que c’est un peu fort ? […]
D’une certaine manière, il est soulagé de retrouver […] la Ramata fofolle, insaisissable et extravagante pour ceux de ses proches qui refusent obstinément de comprendre qu’elle est faite non pas pour vivre la vie mais pour la rêver, la remodeler à la dimension du bouquet kaléidoscopique qui tourne éternellement dans son imagination et qui, au gré de ses désirs, de ses fantaisies et de ses humeurs, lui fait franchit allégrement toutes les limites du temps et de l’espace, du réel et de l’invisible ».
Sollicité par une nouvelle création, Fodé oublie son désir de démission face à l’incurie des responsables. Dans cette nouvelle, Aminata Sow Fall relie, comme elle le fait dans ses autres créations, la réalité boiteuse du fonctionnement du pays et l’invention d’un conte qui dit à la fois, la difficulté de vie des Sénégalais à travers ce « marin » qui a bourlingué et qui a tout perdu, et la capacité à transfigurer le réel : il rapporte au pays une effigie du Belem, son trésor, qui devient le totem de la famille. Comme la romancière le dit dans un entretien : « une œuvre de création, c’est réinventer le réel ».
En 2015, l’écrivaine a reçu le Grand Prix de la francophonie de l’Académie française. Son roman le plus récent est publié en 2017 à Dakar puis en 2018, au Serpent à plumes, L’Empire du mensonge.
Alain Guédé est journaliste et initiateur du projet. Il est connu pour avoir œuvré à la redécouverte d’un musicien noir du Siècle des Lumières, en 1999, Monsieur de Saint-George, le nègre des lumières.
Dans ce recueil, il poursuit dans cette voie avec « Le dernier chant de l’Ernestine ». En effet, la nouvelle commence à l’Opéra-Comique de Paris par un dialogue entre le directeur et Ernestine Dugazon, sa comédienne fétiche. Il est très vite question de la concurrence qu’un « compositeur à la peau ambrée » avait imposée à Mozart. Le livret de l’opéra de Saint-George, «L’Ernestine » a été perdu. Toutefois une partition intacte existerait dans la bibliothèque du Grand Théâtre de Saint-Pierre de la Martinique. Le chef de cabinet du Ministre de l’Instruction publique, Montalembert, veut ressusciter cet opéra, justement à Saint-Pierre. Quelques mois plus tard, voilà l’actrice embarquant pour la Martinique sur le Belem. La longue traversée est l’occasion d’échanges d’information entre les passagers et un rapprochement amoureux entre Ernestine et Montalembert. Lorsqu’ils s’approchent de Saint-Pierre, ils constatent la situation : « La baie de Saint-Pierre était éclairée par le rougeoiement de la montagne Pelée. Le pont du Belem baignait dans une lueur carmin, comme sous un coucher de soleil, et pourtant le bateau se trouvait à des milles du rivage ».
Le commandant de bord décide de mouiller de l’autre côté de l’île car trop de navires encombrent le port. Le couple décide de demander un canot pour aller récupérer la partition. Avant d’aller au théâtre ils veulent profiter des bains publics nécessaires après tous ces jours de voyage. Montalembert s’élance ensuite vers l’édifice mais, trop tard : « En quelques secondes, le déluge de pierres et de feu les submergea. Les deux amants eurent juste le temps d’échanger un ultime baiser. L’Ernestine brûlait dans les mains pétrifiées de Montalembert ».
Mais c’est, à mon sens, la nouvelle de Lyonel Trouillot qui s’impose comme la plus réussie du recueil.
Le testament du mal de mer de Lyonel Trouillot
C’est la nouvelle la plus prenante. La voix d’un enfant pose « au mal de mer », métaphore du bateau qui a tant navigué et a été victime de beaucoup d’avaries, trente trois questions. L’ensemble est riche de poésie et organisé comme une scène théâtrale. La première question rappelle le contexte de mise en récit du Belem, l’explosion volcanique :
« Raconte-moi le volcan.– On ne raconte pas les volcans,leur histoire est trop souterraine.La terre la garde comme un secret,puis elle le crache d’un seul jet,et nul ne voit jamais que la surfacedu récit, son fragment le plus terrifiant ».
L’enfant poursuit en posant d’autres questions car la longueur de vie du voilier peut lui assurer des réponses crédibles pour comprendre les mystères de la vie. Ainsi de l’image la plus forte lors de l’explosion : « Le feu descendait la montagne / et sa lumière marchait dans l’eau ».
Le « mal de mer » garde-t-il en mémoire le nom des morts ?
« - Seulement celui de la montagne.
Pelée, elle s’appelait
Pelée comme une vieille bête qui
Réclamait vengeance.
Pelée comme Jeanne pelée, prêtresse
Des quatre chemins que les hommes
Fusillèrent par décision de justice.
Jeanne la folle ; Jeanne la rebelle.
Sa beauté était telle qu’on la voulut
Sorcière. Elle fut condamnée.
Mais c’était une autre île et une autre
montagne… »
L. Trouillot introduit son île, Haïti, sœur de la Martinique dans la Caraïbe où la nature se venge des exactions des humains, en particulier contre les esclaves.
Le contexte posé poétiquement, les questions portent sur la navigation et ses effets. Lorsqu’on navigue, on ne fait rien d’autre, tant cela mobilise toutes les capacités des marins. Le navire ne reste à quai que lorsqu’il y a la guerre entre les hommes. Le voyage est une épreuve le retour aussi : « Au retour, on découvre la victoire / de l’oubli. Au retour, on n’est plus / que d’anciennes amours ».
Naviguer rend la mÉmoire stÉrile et fait toucher l’éphémère. Il y a tout de même de nombreux Êtres humains rencontrés : certains sont-ils plus « aimables » :
« – Il y a deux façons de construiresa légende.Les routiers courent après les lignesd’horizon, ils créent le mythedu passage.Les autres ont la fierté d’un parcoursvertical et regardent venir, campéssur leurs racines ».
L’enfant pose aussi la question essentielle lorsque sont évoquées toutes les marchandises vendues :
« As-tu aussi vendu des hommes ?
-Non, jamais.
C’était bien avant notre temps.
Et l’on m’a reproché ce qu’avaient fait
nos pères ; j’ai pourtant transporté
tant de choses indispensables ».
Qu’apprend-on quand on navigue autant, rien ?
« -Au-delà du pan du visible,
derrière les frontières du masque,
j’eus souvent l’impression que survit
l’incommunicable ».
Les maîtres du voilier ne s’attachent qu’à son apparence visible :
« -J’ai travaillé un temps pour
Des lords er des héritiers.
Ils s’activaient, comme par principe,
à changer les cadres, les décors.
Lorsque j’étais à leur service,
ils m’ont refait de fond en comble,
Je fus leur ornement mais aucun
accessoire ne pouvait apaiser leurs
blessures intérieures ».
Quel hÉritage laisse-t-il, ce voilier épique ?
« Toute épopée est-elle amère ?
L’amertume serait-elle l’héritage
Atlantique ?
-Il n’y a pas d’héritage.
Hormis le temps.
Et dans le bleu du temps tout est
la fixité et tout est le parcours ».
et plus loin : « A quoi sert l’odyssée si, au bout / du voyage, l’homme n’a pas appris / qu’il est comptable du bleu / du monde ? »
Survient l’ultime question :
« Dis-moi quel est ton nom– Si j’étais un bateau, je seraisLe BelemEt si j’étais une île, je porterais un nom d’île.Et si j’étais un homme, je seraiston voisin.Mais je suis tout cela sans en fairela somme.Une voix.Presque rien.
[…] Et dans cent ans, tu seras là pour/ aider une autre enfant à habiter / ses rêves / En lui laissant / s’il plaît au vent, / ton testament du mal de mer ».
Grâce à sa brièveté, sa concentration et sa poéticité, cette nouvelle, sous forme dialoguée, dépasse le factuel – la commémoration de 1902 –, pour embarquer sur le Belem, voilier des possibles.
La nouvelle de Lyonel Trouillot a été rééditée à Port-au-Prince, en 2004, aux éditons Presses Nationales d’Haïti dans la collection Souffle nouveau. L’écrivain y a ajouté une première partie dédiée à trois poètes : René Philoctète, Georges Castera et Syto Cavé. L’illustration était de Dieudonné Cédor : une « Marine » avec des voiliers sur le point de s’élancer pour le voyage. Le roman le plus récent de l’écrivain a été édité chez Actes Sud, en 2023, Veilleuse du calvaire.
L’Odyssée Méditerranée a déjà été écrite par Homère. Parmi les nouvellistes d’aujourd’hui, y en aura-t-il un pour offrir en partage un autre « testament du mal de mer » de l’Odyssée Méditerranée de « la flamme olympique » en 2024 ?