La revue Figures Migrantes : "Nous assumons de proposer de nouveaux récits face aux violences des discours médiatiques qui pèsent sur les récits migratoires"
- Johan Faerber
- il y a 34 minutes
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Toute jeune revue, Figures migrantes s'impose par son premier numéro par une double volonté, politique car littéraire, de proposer face au racisme croissant qui tenaille le débat public en France de nouveaux récits des figures migrantes. Un acte militant qui méritait bien un coup de projecteur avec cet entretien de l'équipe dans le cadre de notre Quinzaine des Revues.
Comment est née votre revue ? Existe-t-il un collectif d’écrivains à l’origine de votre désir de revue ou s’agit-il d’un désir bien plus individuel ? S’agissait-il pour vous de souscrire à un imaginaire littéraire selon lequel être écrivain, comme pour Olivier dans Les Faux-Monnayeurs de Gide, consiste d’abord à écrire dans une revue ?
Figures Migrantes a commencé en 2022, dans le cadre de notre master de lettres à CY Cergy Paris Université. La diversité culturelle de notre groupe faisait naturellement émerger la question migratoire : elle traversait nos lectures, certaines histoires personnelles, et l’actualité médiatique qui nous entoure.
L’objectif principal du projet est de proposer des récits sensibles et humains des expériences migratoires. En liant gestes critiques et réflexifs, nous interrogeons les représentations des personnes migrantes dans les littératures de langues françaises, tout en cherchant à renouveler les imaginaires de la migration.
Le projet s’est d’abord construit autour de plusieurs moments d’échanges culturels et littéraires : une journée d’études, des rencontres littéraires, des ateliers d’écriture, une exposition mêlant textes littéraires et dessins de presse, ainsi qu’une visite guidée de l’exposition « Paris et nulle part ailleurs », au Musée de l’histoire de l’immigration.
La revue a d'abord été pensée comme un travail d'écriture collective permettant d'archiver ces moments, de faire revivre nos échanges et mettre en perspective les dialogues engagés. Pour déployer ce geste et susciter la création, nous avons aussi voulu ouvrir les pages à nos camarades de master, notamment à travers un appel à texte. La revue puise ainsi sa matière première dans des expériences de vie réelles, vécues et partagées.
Ce format de revue s’est imposé progressivement, car il nous paraissait à la fois accessible, tourné vers le réel, ouvert à la diversité des voix et propice à l’expérimentation.
Quelle vision de la littérature entendez-vous défendre dans vos différents numéros? Procédez-vous selon une profession de foi établie en amont du premier numéro ?
Nous avons un numéro unique, paru en avril 2025. La revue a été conçue comme un projet éphémère. Cela a incontestablement influencé sa dynamique éditoriale : l'équipe s'est autorisée à expérimenter, à oser des rapprochements inattendus entre textes, formes et perspectives. Cette liberté nous a conduits vers une ouverture profonde à l’Autre et aux multiples formes de diversité. En ce sens, l'esprit de la « Poétique de la Relation » d’Édouard Glissant irrigue subtilement et profondément chacune de nos pages.
Comment décidez-vous de la composition d’un numéro ? Suivez-vous l’actualité littéraire ou s’agit-il au contraire pour vous de défendre une littérature détachée des contingences du marché éditorial ? Pouvez-vous nous présenter un numéro qui vous tient particulièrement à cœur ?
Notre projet éditorial se situe à la croisée du champ littéraire et de multiples disciplines investies dans l’étude des migrations humaines. Aujourd’hui, le surinvestissement politique de cette question engendre une actualité saturée, parfois écrasante. Par ailleurs, ces dernières années ont vu émerger de nombreuses publications et manifestations culturelles autour des migrations, témoignant d’un intérêt croissant, mais aussi d’un besoin profond de mise en récit.
Dans cette dynamique, deux types de récits submergent les imaginaires : d'un côté, le rejet de l'autre, nourri par les discours nationalistes et identitaires, de l'Autre, une forme de charité infantilisante et néocoloniale. Nous veillons à maintenir une démarche critique, à contextualiser les discours, à interroger et renouveler les représentations à travers une parole littéraire qui peut agir comme dévoilement, comme déploiement d'un fourmillement de nuances, ou encore par transformation émotionnelle. Elle nous aide à rester au plus près du réel, sans être absorbés par les excès médiatiques ou politiques.
Pour transformer ce réel, il nous semble essentiel de rester attentifs aux formes littéraires, artistiques et sociales qui cherchent à le dire, à l’expliquer et à le penser.
À la création de sa revue Trafic, Serge Daney affirmait que tout revue consiste à faire revenir, à faire revoir ce qu’on n’aurait peut-être pas aperçu sans elle. Que cherchez-vous à faire revenir dans votre revue qui aurait peut-être été mal vu sans elle ?
Certainement, notre singularité tient à notre volonté d’élargir le champ littéraire, en prêtant attention aux marges, aux silences et aux non-dits qui tissent l’histoire des personnes migrantes tout en favorisant un véritable dialogue interculturel. À travers nos ateliers d’écriture, personnes migrantes et non-migrantes trouvent un espace propice pour exprimer leurs histoires, leurs regards. Certaines, sans se revendiquer comme migrantes, explorent un héritage familial marqué par des trajectoires migratoires. Ces voix multiples viennent enrichir la littérature et la compréhension collective des migrations.
Est-ce qu’enfin créer et animer une revue aujourd’hui, dans un contexte économique complexe pour la diffusion, n’est-ce pas finalement affirmer un geste politique ? Une manière de résistance ?
Nous assumons pleinement le caractère engagé de notre revue et de notre démarche. Sans une volonté claire de proposer de nouveaux récits face aux violences des discours médiatiques, à la xénophobie et aux représentations figées qui pèsent sur les récits migratoires, nous n’aurions pas eu la force de faire exister ce projet dans un tel contexte. La revue est née dans un contexte étudiant, et c'est un financement universitaire qui nous à permis de la faire naitre aussi au format papier. Cependant, le manque de moyens financiers continue de limiter considérablement la diffusion et la circulation de la revue. Bénévole, notre équipe s’investit avec rigueur et passion, mais la charge de travail importante pèse sur nos capacités à développer pleinement ce projet. Pour autant, l'accueil chaleureux et l'intérêt rencontrés par la revue nous renforce dans notre démarche, et nous cherchons actuellement à réunir les conditions d'un deuxième numéro, et au-delà, d'une inscription dans la durée.
