
Il ne fait pas de doute que cette grande dame des Lettres Catalanes est partie de notre matrimoine. Le « passé » qu’elle fait revivre est celui du XXes. et les femmes y ont une part essentielle. En enrichissant inlassablement « notre matrimoine » de figures, connues ici – c’est le cas de Mercè Rodoreda en Espagne – et invisible là… on se réapproprie des créations qu’on ne doit pas ignorer.
Justement, les éditions Zulma viennent de publier la traduction d’un de ses romans, Le Jardin sur la mer (traduction du catalan par Edmond Raillard). Elles annoncent la parution prochaine de Rue des Camélias et Miroir brisé. D’autres titres ont été traduits chez d’autres éditeurs (Actes Sud et Tinta Blava) et on ne peut oublier Gallimard qui dans sa collection « L’Étrangère » avait fait découvrir, en 1971, La place du diamant, roman sur lequel je reviendrai plus loin.
Dans l’introduction à l’Exposition qui lui a été consacrée à Barcelone en 2008, on lit cette appréciation si juste, au plus près de son écriture : « [un monde] empreint d’une atmosphère verbale particulière, qui dépend autant de la texture de la voix du narrateur que de la nature de l’expérience évoquée. Une atmosphère qui n’atteint toute sa densité que lorsqu’elle est associée à l’évocation de décors qui lui sont intiement liés ».
Avant d’évoquer ces deux romans traduits : le plus récent et le plus ancien, quelques données bio-bibliographiques sont nécessaires. Elles sont extraites du catalogue de l’expo. de 2008 à Barcelone.
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Mercè Rodoreda i Gurgui est née à Barcelone, le 10 octobre 1908, fille unique d’une famille d’employés cultivés, amateurs de théâtre. En 1928, elle épouse son oncle, Joan Gurgui, frère de sa mère et son fils, Jordi, naît en 1929. Ayant été retirée de l’école précocement, elle va vouloir attraper son retard scolaire dès 1931 et elle rencontre son premier mentor littéraire, Delfi Dalman. En 1932, elle commence écrire dans la presse et publie son premier roman. Elle participe à l’euphorie républicaine et les deux années suivantes, elle publie des nouvelles et trois autres romans.
1936 : c’est la guerre civile àlaquelle les Républicains sont acculés par Franco. Elle participe à la création et aux activités de l’Agrupaciád’Escriptors Catalans. En 1937 et 1938, elle publie des nouvelles sur fond de guerre et aussi Aloma, le seul roman qu’elle n’ait pas renié par la suite tout, en le remaniant trente ans plus tard. Elle est active dans l’Institution des Lettres Catalanes.
Fin janvier 1939 : les troupes franquistes entrent à Barcelone. Elle est évacuée dans un groupe d’écrivains. Elle passe par Perpignan, Toulouse, Paris et s’installe à Roissy-en-Brie avec d’autres exilés. Elle vit désormais en couple avec Armand Obiols. Ils travaillent à la reprise de la Revista de Catalunya. En 1940, elle se remet très lentement à l’écriture. Mais l’entrée des Allemands dans Paris oblige le couple à une nouvelle fuite et ils arrivent à Limoges. En 1941, le régime de Vichy oblige Obiols au STO. Mercè vit dans le dénuement à Limoges. En 1943, elle doit être soignée et s’installe à Bordeaux : elle vit alors de travaux de couture.
1946, la guerre terminée, le couple relance la Revista de Catalunya. Ils sont à Paris dans une chambre de bonne à Saint-Germain-des-prés. Entre 1947 et 1953, elle écrit essentiellement des poèmes. En 1949, elle fait un bref retour à Barcelone mais réside toujours à Paris. Obiols, lui, est à Genève qu’elle rejoint en 1953-1954, tout en faisant quelques séjours à Barcelone. Elle ne semble pas avoir repris l’écriture et remanie des nouvelles antérieures pour lesquelles elle obtient des prix.
En 1959, elle soumet Una mica d’historia au prix Joanot qu’elle n’obtient pas. Elle laisse le roman de côté. Il sera publié en 1967, revu et corrigé, sous le titre : Jardí vora el mar.
Elle s’attelle à un autre roman. Et, en 1960, elle présente Colometa au prix Sant Jordi mais ne l’obtient pas. Néanmoins, elle est sûre d’avoir écrit un grand roman. Elle se remet à une autre création. En 1961, Joan Fuster, membre du jury précédent, fait parvenir à l’éditeur Joan Sales Colometa. Il y a des échanges suivis avec l’autrice et, après un changement de titre, Colometa devient La place du diamant, le roman est édité en 1962 par Club Editor. C’est un succès retentissant. Le roman connaît plusieurs éditions successives. C’est le succès le plus spectaculaire des Lettres Catalanes contemporaines, un véritable phénomène.
En 1966, la romancière obtient le prix Sant Jordi pour Rue des camélias. Elle est désormais connue. Et c’est en 1967 que paraît Jardí vora el mar. En 1969 paraît Aloma, roman de 1938, réécrit.
En 1971, Armand Obiols meurt à Vienne. En 1972, Mercè Rodoreda revient à Barcelone. En 1974, Ediciones 62 se lance dans la publication des Œuvres complètes de l’autrice. En 1975, c’est un nouveau roman, Mirall trencat, considéré par la critique comme l’égal de La place du diamant. Elle continue à écrire des nouvelles et propose une pièce de théatre en 1976.
Ce n’est qu’en 1978 qu’elle se fait construire une maison et s’y installe en 1979.
En 1980, son roman Tant et tant de guerre reçoit le prix de la Critique Serra d’or et le prix des Letres Catalanes.
En 1982, Francesc Betriu adapte au cinéma La place du diamant. C’est un grand succès.

Mercè Rodoreda meurt à Gérone le 13 avril 1983, emportée par un cancer du foie.
Après sa mort l’édition de ses oeuvres se poursuit.
En 1991 est créée la Fundació Mercè Rodoreda.
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« Moi, j'ai toujours aimé connaître tout ce qui arrive aux gens, bien que je ne sois pas bachelier... C'est parce que j'aime les gens. Et les propriétaires de cette maison, je les aimais. Mais cela fait si longtemps, de tout ça, qu'il y a bien des choses dont je ne me souviens plus. Je suis trop vieux et parfois je m'embrouille malgré moi... Pas besoin d'aller voir des films à l'Excelsior, les étés où ils venaient avec leurs amis. »
Presque tous les romans de Mercè Rodoreda s’ouvrent avec une voix qui accompagne la lecture tout au long du récit. Ici, c’est un vieux jardinier qui se souvient. Jamais nommé – et même si le « je » masque l’identité du nom, le personnage pourrait être interpellé au cours des dialogues rapportés par exemple –, cet anonymat renforce sa position de témoin du microcosme qu’il partage avec le lecteur, microcosme qui semble pouvoir être daté d’avant les années 1930. Il prend un soin particulier du jardin car c’est un amoureux des fleurs dont il connaît tous les secrets. Il garde ses réflexions dans son for intérieur mais les confie au lecteur : « […] moi, qui ne suis qu’un jardinier, je ne saurai peut-être pas expliquer. Ce que je ne sais pas expliquer, surtout, ces les choses délicates… Et même si un jardinier c’est quelqu’un d’un peu différent des autres gens, parce que nous avons affaire à des fleurs, et nous avons aussi affaire à la terre. On peut dire qu’une chose compense l’autre ».
Du jardin, il observe l’agitation de la maison puis de l’autre maison lorsqu’elle sera construite à proximité. Il voit tout, il dit peu. Il regarde les riches vivre et, en particulier, Madame et Monsieur, jeunes, riches et oisifs. Cette oisiveté doit être occupée : aussi ce sont des bains, des parties d’échecs, des promenades à cheval, des heurts et des caprices entendus et étouffés et des fêtes grandioses avec des feux d’artifice époustouflants.
Au bout de quelques pages, on craint de s’ennuyer et pourtant, sans effort, on est emporté avec douceur et fermeté jusqu’au point final :
« Regardez les tilleuls… Vous voyez comme les feuilles tremblent et nous écoutent ! Vous riez… Si un jour vous vous promenez la nuit sous les arbres, vous verrez tout ce qu’il vous racontera ce jardin…
Nous nous sommes séparés là, au pied du mirador, et c’était, comme qui dirait, la fin de l’histoire »
Ce roman est un don, au ralenti, celui du temps de vivre du jardinier dont la sédentarité accuse l’agitation des riches toujours insatisfaits. Tout se passe au cours de six étés et les personnages qui animent ce décor peuvent être perçus en trois sphères distinctes : lorsqu’un des personnages traversera d’une sphère à l’autre, c’est qu’un danger s’annonce.
Il y a le premier cercle : tout d’abord le couple propriétaire de la maison, les Bohigues, Monsieur Francesc et Madame Rosamaria. Si celle-ci répand « une atmosphère qui ressemblait au beau temps », le lecteur ne sera jamais à son contact direct mais l’approchera par l’intermédiaire d’un tiers. Ce couple reçoit des amis, trois essentiellement : Eulàlia (et rapidement, Sebastià, son mari, « l’Africain ») et Maragda, modiste ancienne patronne de Madame Rosamaria. Il y a aussi Feliu Roca, le peintre qui ne peut peindre que la mer : « Il l’a peinte de toutes les façons : calme, en folie, avec des hautes vagues, avec des vaguelettes. Verte de la couleur de la peur. Et grise, de la couleur des nuages. Des marines. Il disait qu’il peignait des marines et ses amis lui disaient qu’il ferait mieux de faire des taches, que c’était ça qui plaisaient aux Américains ».
Le second cercle est composé par les domestiques : Quima, la cuisinière au caractère bien trempé, les femmes de chambre : Mariona qui veut et ne veut pas se marier et Miranda, Brésilienne et libre de ses relations, Toni qui s’occupe des chevaux et, bien entendu, le jardinier.
Le troisième cercle, c’est le trio de la maison d’à-côté, Monsieur Bellom, sa fille Maribel et son gendre, Eugeni… celui par qui le scandale arrive : des arrivistes qui, partis de rien, ont fait fortune et singent les vrais riches.
Au centre d’une intrigue qui ne se nouera pas vraiment, Eugeni est l’amant éconduit, le fils perdu, le gendre détesté. Au rythme des floraisons, avec des périodes totalement creuses l’hiver, les histoires se déroulent inéluctablement sans vraiment modifier le cours des choses. Les incursions narratives qui pourraient menacer l’ordre de ce monde, restent comme en suspens de dénouement : ce sont les deux séquences, assez longues, avec les parents d’Eugéni, Paulina et Andreu. Finalement, ce sont les moins nantis qui tiennent véritablement le devant de la scène, les riches disparaissant progressivement vers d’autres décors.
C’est aussi l’intrusion d’Eugeni et son expulsion de ce monde : « Et le lendemain ils l’ont trouvé, Eugeni. Pas très loin. Sur la plage. Le visage démoli, parce que les vagues l’avaient projeté toute la nuit contre les rochers. Je suis allé le voir, étendu sur le sable, avant qu’on l’emporte, et j’ai enlevé ma casquette et j’ai fait le signe de la croix. Ils l’ont enterré dans le cimetière du village, comme un chrétien, parce qu’ils ont dit qu’il était mort accidentellement ».
Ce sont enfin les épisodes cocasses du lion et de la guenon.
Que les personnages se confient ou qu’ils soient devinés, ils sont dans l’inachèvement de leur vie et le jardinier, témoin de ce monde futile vit dans la profonde nostalgie de sa vie d’avant, pas celle de « quand il était soldat » (expérience totalement passée sous silence) mais quand il partageait le jardin avec sa femme, Cécilia : « Et je ne lui ai pas raconté, parce que j’avais peur de le lasser, que Cecilia portait toujours des vêtements lilas. Des petites robes de tissu à carreaux lilas et blancs. […] Nous étions une seule personne. Comme l’eucalyptus, je vivais droit et tranquille. Les bras bien attachés aux épaules et les pieds bien plantés dans la terre. Et quand elle est morte… elle est morte entre mes mains, comme un oiseau, pourrait-on dire… tout a fichu le camp. Comme si on m’avait mis en miettes et qu’on les avait dispersées ».
Que les fleurs s’épanouissent ou qu’elles fanent, qu’elles soient offertes ou coupées sans raison – l’épisode des glaïeuls dévastés est une vraie métaphore du fossé de deux mondes qui s’ignorent –, elles habitent tout le texte. L’écriture de Mercè Rodoreda est impressionniste et ne se dévoile que par touches imperceptibles. Virtuose des portraits, la romancière crée véritablement une atmosphère toute de subtilité et dont la mélancolie habite le lecteur, sans qu’il n’y prenne garde, une fois le livre refermé. Tout se déroule dans le feutré des non-dits. On sent qu’il se passe des choses graves ou qu’elles peuvent se passer mais rien n’est donné en direct au lecteur. A propos de son roman, La mort et le printemps, la romancière a donné une appréciation, en 1961, qui peut aussi éclairer Le Jardin sur la mer : « Terriblement poétique et terriblement noir. Avec le style qui a été le mien jusqu’à ce jour : à la première personne et essayant de dire les choses de la façon la plus pure et la plus inattendue ».

L’autre roman de Mercè Rodoreda (en catalan en 1962, trad. en français en 1971 mais aussi dans de nombreuses langues) est La place du diamant, celui que l’on connaît lorsqu’on s’intéresse à la guerre d’Espagne et qu’on a entendu parler de cette romancière. Il lui a fallu beaucoup de temps après le traumatisme de la défaite, pour se remettre à écrire. Il a été joué au Palais de Chaillot en 1997-1998 dans une mise en scène de Gilles Bouillon. La protagoniste en est Natàlia, surnommée Colometa par son mari. C’est par elle que nous vivons la guerre et l’après-guerre. Cette narratrice baigne dans un milieu républicain avec son mari, Quimet et ses amis, Cintet et Mateu. Sa meilleure amie, Julieta, prend, elle aussi, les armes. Gabriel García Márquez, en 1983, rendant hommage à l’écrivaine, a qualifié La place du diamant de « plus beau roman écrit en Espagne depuis la fin de la guerre civile ».
« Julieta est venue exprès à la pâtisserie pour me dire qu’avant la tombola pour le bouquet, il y en aurait une pour des cafetières ; elles les avait vues : très chic, blanches avec, dessus, une orange coupée en deux et montrant ses pépins. Moi, je n’avais pas envie d’aller danser, ni même de sortir, j’avais vendu des bonbons toute la journée et les bouts des doigts me faisaient mal à force de serrer des rubans et de faire des nœuds et des boucles. […] Mais elle m’a entraînée malgré moi, j’étais ainsi faite que je ne savais pas dire non aux gens ».
C’est toujours à une voix singulière que la romancière confie le récit rétrospectif de sa vie, depuis la rencontre avec Quimet jusqu’au mariage de sa fille Rita et à sa propre libération. Cette fois, l’autrice a choisi une jeune fille du quartier populaire de Gracia : Natàlia fait son propre portrait : tout d’abord sa tenue très choisie pour aller au bal où elle ne voulait pas aller – cet art du détail est une des marques de l’écriture de M. Rodoreda. Elle dessine aussi son propre portrait psychologique : celui d’une orpheline de mère dont le père s’est remarié et qui n’a plus personne pour la conseiller : « Mon père était remarié et moi j’étais là, toute jeune et toute seule, place du Diamant, à attendre la tombola pour les cafetières […] Une voix m’a dit à l’oreille on danse ? »
Quimet, jeune homme, sûr de lui et décidé, vient d’entrer dans la vie de la jeune fille et elle est entraînée dans un tourbillon par celui qui la nomme doublement : « Ma reine » puis « Colometa ». Toute la scène de séduction et de coup de foudre est enlevée, drôle, irrésistible mais prémonitoire d’une vie de femme esclave d’un mari jaloux et brutal. Les fiançailles avec Quimet sont plus éprouvantes que des montagnes russes et Natàlia, a posteriori, garde toute sa lucidité sur son autoritarisme et son machisme. En plus de tout ce que Quimet lui fait subir, elle doit accepter son achat d’un entonnoir pour le premier pigeon, suivi d’autres… :
« Et la vie s’écoulait ainsi, avec ses petits soucis, jusqu’au jour où la République est venue et mon Quimet s’est emballé, il est descendu dans la rue en criant et en brandissant un drapeau dont je n’ai jamais pu savoir d’où il l’avait tiré. Je me souviens encore de cet air fais que, j’ai beau y songer, je n’ai jamais plus senti. Jamais plus. Mêlé à l’odeur des feuilles tendres et des boutons de rose, un air qui s’est enfui ; et tous ceux qui sont venus après n’ont jamais été comme l’air de ce jour qui a fait une telle coupure dans ma vie, parce que c’est en avril et dans le parfum des fleurs non écloses que mes petits malheurs sont devenus grands ».
Les années de guerre sont évoquées sobrement mais clairement, les pigeons et leur évolution étant la mesure d’un récit historique masqué. Le comportement des pigeons et le rapport qu’elle entretient avec eux fonctionnent comme une sorte de métaphore des préparatifs de la guerre, de son vécu et de l’échec des Républicains. Car Colometa est restée à Barcelone avec ses deux enfants, et a gardé aussi le pigeonnier de Quimet. Sans moyen, tout se dégrade, la maison, les enfants qu’elle doit placer dans une colonie et Quimet qui meurt sur le front. Avec l’échec de la République, tout se dégrade encore plus. La suite de son histoire est à lire tant elle est digne et exemplaire. En choisissant ce récit-là du conflit et de ses conséquences, la romancière fait bien vivre une guerre que le peuple espagnol n’a pas voulu mais à laquelle il a été acculé pour préserver sa liberté et les acquis la République. Elle fait bien vivre le paradoxe d’un conflit juste et cruel mais surtout des conséquences de la vie en arrière du front.
Dans un dernier élan de désespoir et de vie, Natàlia sort de sa nouvelle demeure, retourne à son ancienne maison, repasse à la place du Diamant, « une boîte vide faite de vieilles maisons avec le ciel pour couvercle » : « et prenant ma tête entre mes bras pour me protéger de je ne sais quoi, j’ai poussé un cri infernal. Un cri que je devais porter en moi depuis des années et avec ce cri, un cri si large qu’il avait dû avoir du mal à passer dans ma gorge, est sortie de ma bouche une espèce de chose de rien du tout, comme un scarabée de salive… et cette espèce de chose de rien du tout qui avait vécu si longtemps en moi, c’était ma jeunesse qui fuyait en poussant un cri que je ne savais pas interpréter… »
C’est ce cri libérateur de la souffrance et de la douleur de Natàlia-Colometa qui a été représenté dans le monument érigé à Barcelone sur… la place du Diamant, en hommage à la romancière catalane.

En 1982, Mercè Rodoreda confiait : « Ce roman, je le voulais kafkaïen, très kafkaïen, absurde, bien sûr, avec beaucoup de pigeons ; je voulais que les pigeons étouffent la protagoniste du début jusqu’à la fin. Puis a commencé à naître en moi, alors que je ne m’étais pas encore assise à la machine à écrire avec une rame de papier sur le côté, ce qui allait devenir La place du Diamant. Je l’ai écrit fiévreusement, comme si chaque jour de travail avait été le dernier jour de ma vie.
Je ne voyais que cela ; je corrigeais l’après-midi ce que j’avais écrit le matin, faisant en sorte, malgré la vitesse à laquelle j’écrivais, de ne pas laisser le cheval s’emballer, de tenir les rênes avec force pour qu’il garde le cap. Certains parlent d’explosion narrative. Je ne sais pas ce que cela veut dire. Ecrire un roman est un travail soutenu pour lequel on a besoin de calme et d’une grande maîtrise de soi »

Mercè Rodoreda, Le Jardin sur la mer, (1967), Traduction du catalan par Edmond Raillard, Paris, éditions Zulma, janvier 2025, 256 pages, 21,50€
Catalogue de l’exposition, « Mercè Rodoreda la mort de l’innocence » au Palau Robert à Barcelone (Generalitat de Catalunya, Fundacio Mercè Rodoreda), du 25 mars au 15 juin 2008, pour le centenaire de sa naissance.