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Photo du rédacteurJohan Faerber

Éditions Verdier : « Pour de jeunes auteurs, peut-être que le passage en poche installe autrement leurs textes dans le paysage littéraire »




Impossible pour Collateral d’ouvrir ce dossier consacré aux collections de poche sans commencer par s’entretenir avec l’équipe des éditions Verdier autour du lancement de la nouvelle mouture de leur collection de poche. Si, dans le sillage de l’audience grandissante de la maison, elle a pu être initiée avec succès en 2006, la poche de Verdier qui compte depuis près de 100 titres voit en ce début d’année 2024 une refonte de sa maquette, de son format mais l’affirmation surtout de ses lignes éditoriales. Mise en valeur d’un fonds parmi les plus riches du catalogue contemporain avec notamment Pierre Michon mais aussi valorisation des jeunes autrices et auteurs comme Hélène Laurain. Autant d’orientations stimulantes sur lesquelles Collateral a voulu revenir avec l’équipe Verdier le temps d’un grand entretien.


Ma première question voudrait porter sur les origines de votre collection poche. Comment est né en 2006 le souhait de proposer, à côté de vos volumes en grand format, une collection de poche qui, désormais, compte plus d’une centaine de titres. Quel était alors votre souhait en développant le format poche ? S’agissait-il ainsi d’une manière d’accompagner le succès indéniable de la maison qui allait alors vers sa 30e année et d’ainsi pérenniser le catalogue en le rendant plus accessible encore ? Comment aviez-vous arrêté à cette époque le choix de la couverture si belle et si singulière avec son graphisme très fort ?

 

En 2006, il s’agissait de rendre les publications de Verdier plus accessibles et de tenter une plus large diffusion. À l’époque, nous n’étions pas autant visibles en librairie. Nos livres étaient repérés et prescrits mais nous souhaitions toucher davantage de lecteurs. Un format plus petit et moins cher était une manière d’y parvenir.

Pour piquer la curiosité des libraires et des lecteurs, nous voulions une maquette très différente, moins classique que celles de nos grands formats, et qui se distinguerait nettement des collections de poche installées. Il était donc exclu d’illustrer par des images les couvertures comme c’était la tendance : nous tenions à la typographie comme élément distinctif. Il nous a paru alors évident d’en confier la création à Pierre di Sciullo, typographe reconnu avec qui nous travaillions déjà (il est l’auteur des maquettes des couvertures grand format et du logo Verdier).

Cette collection au graphisme très affirmé est ainsi née pour valoriser une diversité de titres à l’image du catalogue, certains même sur papier bible, tels Sabbataï Tsevi de Gershom Scholem, ou Créer de Paul Audi. Elle compte à ce jour plus d’une centaine de titres.

 



 


Parlons à présent de l’évolution de votre collection poche, et en premier lieu de sa nouvelle ligne graphique : ce qui frappe d’emblée, s’agissant des nouveaux volumes qui paraissent, aussi bien le Giani Stuparich que le Venet, c’est que leurs couvertures semblent plus aisément rattachées aux codes graphiques de vos volumes grands formats. On y retrouve ainsi votre désormais célèbre logo Verdier. Les codes couleurs font également le plus souvent référence à votre jaune si reconnaissable. S’agissait-il pour vous d’offrir une collection poche qui, au premier coup d’œil, soit encore plus aisément identifiable, plus proche du grand format, comme si le poche offrait, en droite ligne, sa déclinaison logique en quelque sorte ? Qu’est-ce qui, profondément, a présidé à cette nouvelle politique graphique ?

 

Nous avons écouté les lecteurs, professionnels ou pas, qui disaient ne pas reconnaître Verdier, voire même ne pas être capables de « lire » le titre (inscrit à la verticale dans une police de caractères assez inhabituelle) : la collection n’était pas identifiée et elle intimidait.

Entre-temps, l’image de la « Jaune » n’a cessé de s’imposer et de grandir auprès du public, elle devenait plus populaire (grâce notamment au succès du livre d’Anne Pauly, Avant que j’oublie, Prix Inter 2020, qui raconte dans une langue moderne et mordante la mort du père). S’est imposé alors le choix d’une maquette qui rappelle la Jaune : nous avons repris la police et la disposition du nom de l’auteur et du titre : sobre et lisible, et nous voulions, cette fois encore, éviter d’avoir recours aux images. Finalement, à cette composition épurée, nous avons ajouté des formes qui évoquent des « papiers découpés », comme des paysages changeants d’un titre à l’autre, et le jaune de chrome a laissé sa place à un jeu de couleurs qui se répondent : par le contraste, le ton sur ton… Nous avons également opté pour un format légèrement plus grand, plus confortable pour la lecture et plus en accord avec la conception actuelle du format poche.

Toutes ces réflexions et les nombreuses pistes explorées avant d’arriver à la maquette définitive ont été menées en interne, car ainsi nous n’avions pas les contraintes de temps et d’échanges qu’implique une commande faite auprès d’un graphiste externe. Et nous avons tablé sur la connaissance que nous avons de nos titres pour aboutir à quelque chose qui nous corresponde bien.

 

 

Cette nouvelle ligne graphique vient peut-être, plus largement, signaler un double mouvement : un renforcement, tout d’abord, dans la politique éditoriale qui préside aux choix des titres qui figureront dans le catalogue même. Si l’éventail générique est maintenu, du roman à la poésie en passant par les essais, il apparaît que domine à juste titre une volonté de valorisation du fonds en passant en poche les écrivains historiques de la maison comme Pierre Michon et Pierre Bergounioux. Le passage en poche, en tant que lieu ultime de la consécration éditoriale, témoigne de la richesse du catalogue Verdier où, de manière frappante, les auteurs historiques sont devenus autant d’auteurs du patrimoine littéraire. Diriez-vous ainsi que l’effort premier du poche est de participer d’un procès de classicisation du contemporain ?

 

Pour des auteurs comme Pierre Michon ou Pierre Bergounioux, le passage en poche n’a pas été une condition ou un accélérateur : ils se sont imposés comme de grands auteurs avant d’être disponibles en petit format. Pour d’autres, plus jeunes, peut-être que le passage en poche et la large diffusion que cela permet est davantage un événement. Cela installe autrement leurs textes dans le paysage littéraire, et pour un nombre élargi de lecteurs. Mais, nous ne sommes pas certains que la diffusion en poche soit à ce point déterminante pour la reconnaissance : c’est avant tout le texte qui, peu importe sa forme, vient bouleverser un lecteur.

 

 

La deuxième ligne éditoriale à laquelle répond votre collection poche consiste à valoriser les nouveautés grands formats sortis il y a peu, et cela de deux façons. Ainsi, à côté des classiques, il y a l’édition en poche, comme pour Emmanuel Venet qui vient accompagner et faire écho à une parution récente, presque simultanée d’un titre grand format. La deuxième tendance de votre nouveau catalogue vise à l’explicite mise en avant de votre recherche permanente de nouvelles voix et, notamment, de nouvelles autrices : ainsi d’Hélène Laurain dont le formidable Partout le feu sortira prochainement. Est-ce que ces deux tendances participent explicitement du choix des nouveautés poches ?

 

Aux côtés de Vie de Joseph Roulin et Le Matin des origines, qui sont l’un et l’autre les premiers titres de Michon et Bergounioux parus chez Verdier en 1988 et 1992, et qui ont à l’époque véritablement introduit la littérature française au catalogue, nous avons souhaité mettre en avant des textes plus récents mais déjà considérés comme des « classiques » du fonds : La Capitale de Robert Menasse, le romancier de l’Europe contemporaine, que nous publions dans notre collection de littérature allemande depuis 2000, ou encore Marcher droit, tourner en rond d’Emmanuel Venet, déjà publié et réimprimé plusieurs fois dans notre précédente collection poche.

À ces titres, nous avons choisi d’associer Partout le feu, le premier roman d’Hélène Laurain, paru en 2022, qui incarne une veine nouvelle du catalogue, très contemporaine, aussi bien dans ses thématiques – la désespérance d’une génération face à la catastrophe climatique en cours – que dans sa dimension formelle – une prose coupée et non ponctuée, qui mime aussi bien l’oralité, la communication numérique, les paroles de chanson ou la poésie.

Cela étant, ce n’est pas une collection uniquement de romans et de récits, elle ne l’était pas et ne va pas le devenir. Elle va continuer à accueillir de la poésie et des essais de philosophie, d’histoire… Ainsi, parmi les quatre premiers titres il y a Qui a fait le tour de quoi ? de l’historien des Grandes Découvertes Romain Bertrand qui nous raconte le périple de la flotte de Magellan autant qu’il interroge les enjeux actuels attachés à la première navigation autour du monde.

 

 

Enfin ma dernière question voudrait porter sur l’ultime nouveauté de votre refonte poche. En effet, contrairement à d’autres maisons, vous ouvrez votre collection à une politique d’inédits qui paraîtront ainsi directement en poche, à commencer par le très beau texte de Giani Stuparich, Une année d’école qui paraît ces jours-ci. Pourquoi votre choix s’est-il porté sur ce texte ? S’agissait-il pour vous d’offrir un objet double : un inédit qui a vocation à devenir rapidement classique, jouant de la force de diffusion du poche ? N’est-ce pas finalement une manière que vous avez développée avec La Petite Jaune qui, depuis 2015, propose en petit format des inédits d’intervention ?

 

Déjà en 2006, nous publiions un inédit en poche : la première traduction complète du Dîvan de Hâfez de Chiraz, poète majeur de la lyrique persane (1 280 pages !). D’autres inédits ont suivi, comme Richesse franciscaine de l’historien Giacomo Todeschini, et d’autres suivront. Pour chacun de ces inédits, la raison qui a présidé à leur publication directement en poche s’avère différente.



Une année d’école de Giani Stuparich est depuis longtemps considéré comme un classique en Italie. Une adaptation cinématographique par la réalisatrice Laura Samani est d’ailleurs en cours de production. Attachés que nous sommes à Stuparich, nous avons voulu le mettre à l’honneur, en inscrivant ce roman qui n’avait encore jamais été traduit en français dans nos quatre premières publications de la nouvelle collection, de même que figurait, en 2006, L’Île du même auteur parmi nos tout premiers poches. Comme L’Île, Une année d’école est un texte bref – moins d’une centaine de pages –, un petit bijou, paru en 1929, qui relate une année scolaire, peu de temps avant le déclenchement de la Première Guerre, dans la ville frontière de Trieste. Un roman étonnamment moderne, qui évoque les aspirations et les espoirs d’un groupe de lycéens, parmi lesquels l’inoubliable Edda, seule fille de sa promotion, brillante et volontaire, farouchement déterminée à s’affranchir des assignations propres à son sexe.

Quant au rapport que vous suggérez entre le geste de proposer cet inédit en poche et celui qui préside aux publications dans la « Petite Jaune », il ne nous paraît pas évident. Une année d’école est avant tout une œuvre romanesque. Sa manière d’être un texte pour notre temps nous semble très différente de celle des textes d’intervention proposés dans la « Petite Jaune », qui répondent à une situation, aux circonstances ou à un fait d’actualité. Une certaine urgence, une concision les caractérisent et le format que nous avons choisi – plus petit qu’un poche – leur correspond bien. Ces textes rendent compte d’une prise de position, d’une pensée forte, d’une réflexion et appellent l’échange, le débat. Les poches sont selon nous avant tout des livres de fonds.


 

En librairie depuis le 1er février 2024 :

Romain Bertrand, Qui a fait le tour de quoi ? L’Affaire Magellan

Robert Menasse, La capitale

Giani Stuparich, Une année d’école

Emmanuel Venet, Marcher droit, tourner en rond

 

En librairie le 28 mars 2024 :

Pierre Bergounioux, Le matin des origines

Hélène Laurain, Partout le feu

Pierre Michon, Vie de Joseph Roulin

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