top of page

David Lynch, l’étrange sensoriel

Photo du rédacteur: Benoit GautierBenoit Gautier

(c) Benoît Gautier
(c) Benoît Gautier



"Le cinéma, pour l'essentiel, c'est une question de bon sens. 

Tout est à portée de main, il suffit d'être attentif 

et de réfléchir à la façon de faire les choses".

David Lynch, Mon histoire vraie



Freud, après la naissance du cinéma, nomme « inquiétante étrangeté » ce sentiment effrayant et étrange qui surgit au cœur d’une situation familière. Tel ce filtre de lumière dans les salles obscures qui réfléchit des corps, visages, émotions si et non incarnés, sensation de double. 130 ans après l’avènement du cinématographe, David Lynch meurt. Que de rendez-vous en plus de ses dix films, tous empreints de "l'étrange sensoriel" dans un spatio-temporel réinventé. 2007, l'expo à la Fondation Cartier. 2010, inauguration du Silencio, club parisien que Lynch décore. 2008, sortie de son livre Mon histoire vraie, méditation, conscience et créativité. Dans la continuité de Rilke et Barthes : "Fragments à un jeune cinéaste". Je le rencontre au Divan du monde. L'honneur se transforme vite en plaisir face à l'élégance, la courtoisie de cet homme plus Anglais qu'Américain à mes yeux. Cela lui convient à souhait, et en parlant d'yeux, il me complimente sur ma paire de Cutler & Gross façon Hockney. Pendant la dédicace, nous avons causé lunettes. Métaphore de la vision, de la réflexion de ce génie - là, le mot n'est pas usurpé – en tableaux, musiques et films à (re)voir ad lib

En hommage, souvenir de cette rencontre suivie d’une mini nouvelle, Cannesland Drive, variation sur l’affiche de Cannes 2008 créée par Pierre Collier, photo David Lynch.


S’étendre sur un divan au bout du monde avec David Lynch pour psy. Personnellement, je m’allonge à l’aveugle quelles que soient les émotions qui traverseront mon voyage intérieur. Plus qu’une rencontre privée, ce fut une sorte de messe intime qui s’est déroulée pour la sortie de la (non) autobiographie du cinéaste.

Imaginez une scène comme un écrin lynchien : rideau rouge et noir strié de lumières bleu électrique et mauve psychédélique. Parfois, des éclairs blancs clinique illuminent la salle pendant qu’un orchestre baptisé pour ce happening The Twin Peaks Consort, plane sur des mélodies glam caressées par une voix androgyne, déchirées par un saxo.


David Lynch se fait quelque peu attendre. Juste ce qu’il faut pour que le désir soit à son comble. Il apparaît derrière un écran où pleure et rit le visage de Laura Palmer devant son ange de mort. Metteur en scène star au look nighties étiqueté Agnès B et Yohji Yamamoto, Lynch est le roi David avec son casque de cheveux blancs. Il se tient face public comme un monarque shakespearien underground, un gourou rock’n roll alernatif. Pendant une session de questions-réponses en musique, le Maître dirige le tempo musical en fonction de ses révélations. Déformation professionnelle et contrôle aigu de son image obligent, il choisit du doigt ses interlocuteurs, donne la parole selon son bon vouloir. Tel un Bouddha New Age, ses déclarations vont du transitoire au fondamental. Nous apprenons que le Maître a sa propre marque de café, un mélange subtil d’arômes mexicain et sud-africain dont il raffole. Nous savons désormais que Twin Peaks n’aura pas de suite malgré les rumeurs lancées sur le web. 


Les confidences tournent autour de la naissance des idées. Dans un discours aussi positif que prosélyte, il initie le public à la méditation transcendantale dont il est un fervent adepte. Lynch compare les idées à des bulles qui se matérialisent en création lorsque la conscience s’élargit. Il avoue préférer les rêves diurnes à ceux du sommeil, laisser venir à lui les images et les sensations, poissons fertiles qu’il se contente de pêcher. C’est ainsi qu’Inland Empire est né de trois idées notées puis tournées en DV. Ces trois idées qui n’avaient rien à voir furent suivies par une quatrième qui devint leur liant et ainsi de suite. Mais plus encore que les mots de cet homme qui ne cesse de se dissimuler savamment, ce sont ses gestes qui hypnotisèrent la salle en se promenant dans les airs. Ses mains magnifiques avec des doigts comme des algues qui ondulent. Le roi David est un créateur humble et un homme formidablement vivant. C’est-à-dire ancré dans le flot de la vie. Pêcheur inspiré, il saisit les idées pour mieux les transformer en chefs-d’œuvre de cinéma, en musiques, en peintures, en dessins, en collages et en photographies car Lynch est un Artiste. Un Vrai. Comme son histoire ?...





Cannesland Drive


Ce portrait sibyllin d’actrice, avec ses mains de travesti, à mi-visage entre Claude Pompidou et Marylin Monroe. Je l’imagine toute nue avec pour seul ornement, un rectangle noir posé sur son visage blanc comme un loup déjanté.

Je la rêve en plein cauchemar. Honteuse et perdue, elle avance sur un tapis rouge qui la guide vers un palais en forme de bunker. Les flashs des photographes et les paillettes cannoises l’aveuglent. Les écrans et le monde cinéma, bûchers des vanités, la brûlent comme Jeanne d’Arc. Elle pense en tremblant à Maria Falconetti, Michèle Morgan, Ingrid Bergman, Jean Seberg, Sandrine Bonnaire, Milla Jojovich…


Elle murmure sans cesse : « Cannesland Drive, Cannesland Drive, Cannesland Drive…».


Un son sourd s’amplifie jusqu’au strident insupportable. Fait trembler son image jusqu’à la dissoudre. Elle pousse un hurlement. Ouvre grand ses yeux. Elle est en sueur. Ses cheveux collent à ses tempes. Sa bouche asséchée comme le désert. Dans la pénombre, sa main glisse maladroitement sur le sol. Se plaque sur un paquet de cigarettes et un briquet. Elle en allume une.

Ce songe, elle le fait de plus en plus souvent. Demain, elle s’envole pour Cannes et son putain de festival qui lui rendent hommage. Il y a trente ans, elle était une star. Ça fait combien de temps qu’elle n’a pas tourné ?… Cette pensée s’évanouit dans son cerveau. Elle s’est rendormie. Sur le drap, la cigarette continue de se consumer. Un rond noir se dessine. Envoie de minuscules signaux incandescents. Un filet de fumée s’échappe. « Cannesland Drive… ».


Mulholland Drive



Lost Highway




Blue Velvet




Posts similaires

Voir tout
bottom of page