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Photo du rédacteurCécile Vallée

Joy Majdalani : Ni victimes ni icônes (Jessica seule dans une chambre)


Joy Majdalani (c) JF Paga/ Grasset


Si on ne connaît pas le premier roman de l’autrice, Le Goût des garçons (2022), le titre et la quatrième de couverture de ce deuxième roman pourraient inciter le lecteur à l’éliminer de sa sélection de la rentrée. L’annonce de l’éternel trio amoureux et d’« un impitoyable roman sur la férocité qui peut survenir entre les femmes, quand le désespoir s’en mêle » peuvent faire craindre un mélo sans intérêt mais il n’en est rien, c’est beaucoup plus que cela.


« Rien de pire qu’un vendredi soir pour languir à la fenêtre d’un studio minuscule. »


Tout commence avec Jessica, 23 ans, cigarette à la bouche et verre à la main, à la fenêtre de son appartement parisien qui donne sur une cour déserte en ce soir d’Halloween. Elle considère comme le comble de l’échec de passer cette soirée seule. Elle décide donc de trouver un partenaire sur un site de rencontre et accepte rapidement le rendez-vous dans un bar que lui propose Justin. Parallèlement, une autre femme, Louise, s’ennuie, dans un autre bar, avec son groupe d’amis et envoie un message à Justin, dont elle s’est séparée quelques mois plus tôt.



Jalousie et compétition


La scène de rencontre est loin de « leurs yeux se rencontrèrent ». Elle fait davantage écho à la maxime de La Rochefoucauld : « « Il y a des gens qui n’auraient jamais été amoureux s’ils n’avaient jamais entendu parler de l’amour ». En effet, Jessica, après avoir pensé fuir, semble construire ce qu’elle ressent pour Justin : « elle ne savait plus quand elle avait décidé que Justin lui plaisait ». Et ce sentiment naît finalement moins de Justin que de son ex, par défi, quand elle découvre l’existence de Louise par les notifications des messages de « Petit Cœur » qui s’affichent sur le téléphone de Justin.  Elle se lance ainsi dans une relation amoureuse par jalousie, et l’amour fait plutôt place à d’autres sentiments, entre « le désir, la haine, la colère. » Il est plus question de soi que de l’Autre. Louise décide également de s’immiscer dans le couple non pour reconquérir Justin, mais pour se confronter à Jessica. Elles se regardent elles-mêmes, elles s’épient l’une l’autre. La position de surplomb du lecteur lui permet de connaître les failles de chacune, leurs mensonges et leurs erreurs d’interprétation de l’autre. Leur rencontre, inévitable, sera étonnante.



Des héroïnes modernes


« C’est l’histoire de quelqu’un. On peut la rembobiner comme un film ou la raconter comme une légende, l’épopée canonique d’une jeune fille dans une grande ville. Elle peut en être l’héroïne. »


L’autrice déclare qu’elle avait « une vraie soif » de créer des personnages de femmes complexes, qui sont sujets, « traités avec le sérieux de la littérature ». Effectivement, elle creuse les différents aspects de cette rencontre entre deux femmes, entre sororité et haine, elle nous pousse à regarder le « peuple d’asticots » sous l’envers de la peau. L’opposition qui pourrait sembler caricaturale entre la brune, jeune femme superficielle, obnubilée par le regard des autres, par son apparence sexualisée, sans emploi fixe et la blonde, jeune femme réfléchie, ne l’est pas. Ce sont deux femmes contemporaines qui se cherchent, avec leurs petites mesquineries, leurs moments d’empathie, leurs fragilités, ni icônes, ni victimes.


« Jessica était belle, parfois. Mais sa beauté était précaire. Un pays étranger où elle était en transit, où elle n’avait jamais réussi à défaire ses valises. »


Joy Majdalani bouscule le paradigme de l’héroïne : elle agit, elle est sujet mais pas parfaite comme le souligne l’intertextualité avec le roman La Cloche de détresse de Sylvia Plath que Jessica veut lire.

Le récit alterne les points de vue des deux femmes. Le passage se fait sans annonce. On laisse l’une pour suivre l’autre avec un effet de simultanéité ou au contraire de rupture chronologique. Si le lecteur a une impression de surplomb, il n’en sera pas moins surpris par l’intrigue jusqu’à la fin savoureuse. La narratrice se joue de lui et des stéréotypies du romanesque dès le premier chapitre en annonçant les ingrédients d’une intrigue, « elle avait rendez-vous avec sa destinée », avec ironie. Les titres des 13 chapitres et les variations sur le titre du roman qui ponctuent le récit soulignent cette architecture littéraire.

Les deux romans de Joy Majdalani révèlent une habilité certaine à jouer avec les codes romanesques pour offrir une vision du monde moderne et sans concession.




 

Joy Majdalani, Jessica seule dans une chambre, collection Le Courage, Grasset, août 2024, 240 pages, 19 euros

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