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Kaouther Adimi : La superposition des couleurs (La Joie ennemie)

  • Photo du rédacteur: Christiane Chaulet Achour
    Christiane Chaulet Achour
  • il y a 1 jour
  • 13 min de lecture

Kaouther Adimi (c) Editions Stock
Kaouther Adimi (c) Editions Stock

« Force nous est de tout ramener vers le personnel, même ce qui relève de l’universel. Mon histoire, comme une fiction, part de l’individu que je suis pour tenter de toucher à ce qui relève de l’humanité ».

 Ananda Devi, « Ma nuit au musée »




Comme de nombreux écrivains, Kaouther Adimi se lance dans l’expérience de l’écriture sur commande dans la collection, « Ma nuit au musée », aux éditions Stock, collection littéraire qui propose à des auteurs de passer une nuit seuls dans un musée « pour y puiser de l'inspiration en parcourant librement les œuvres d'art, en vue de créer un futur ouvrage ».


L’année dernière, à la rentrée de septembre, c’était le texte interpellant et dérangeant d’Ananda Devi que nous offrait cette même collection, sous le titre, La nuit s’ajoute à la nuit. Dès le 3 septembre 2024 dans Collateral, Cécile Vallée en proposait une analyse, citant des passages de l’écrivaine mauricienne qui me semblent pouvoir éclairer aussi la démarche de Kaouther Adimi, comme celui mis en exergue à cet article. Ananda Devi avait choisi de passer « sa » nuit à l’ancienne prison de Montluc à Lyon et s’interrogeait sur son choix : « Tout ce que je sais, c’est que j’ai été emportée, engloutie par le siècle d’histoire qui a traversé cette prison de Lyon, la prison de Montluc. […] Toute la complexité de l’histoire semble s’être concentrée en un seul point, mais ses tentacules s’étendent bien plus loin. J’ai essayé de les suivre, de les démêler. De les pénétrer au cours d’une nuit blanche où je pensais aller à la rencontre des esprits de tant de résistants, et où j’ai fini par me rendre compte que le fantôme, en ces lieux, c’était moi ». Kaouther Adimi avait obtenu le Prix Montluc Résistance et Liberté 2023 pour son roman Au vent mauvais.


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C’est un lieu moins chargé en apparence mais tout aussi dérangeant pour sa plongée à la rencontre des fantômes du passé qu’affronte la romancière pour « sa » nuit, en s’immergeant dans l’exposition de l’artiste-peintre algérienne, Baya, dans le sous-sol de l’Institut du Mode arabe, en novembre 2022 : « Ce sous-sol gris, sombre, désert à la nuit tombée, seulement illuminé par les tableaux de Baya, était le  lieu idéal pour mon projet ». Après les citations en exergue, Kateb Yacine d’abord qui est à la source du titre choisi par l’écrivaine ; puis l’inévitable Camus, le premier mot du texte est « Alger », une ville dont l’écrivaine partage avec tous ceux qui déambulent dans ses rues « le secret de nuits interminables ». La phrase suivante qui clôt cet envoi initial met en lien la guerre et… Baya : « L’écho de la guerre résonne encore à mes oreilles ; résonne aussi le rire de Baya ». 


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La mise en parallèle guerre/rire et ombre/lumière peut surprendre, tant la peinture de Baya respire la paix et la sérénité. Comment synchroniser ces deux thématiques opposées ? Qu’apporte la peinture de Baya à la nuit de la narratrice ? Car, comme le suggérait le peintre algérien, Ali Silem, en 1991 : « La peinture de Baya est une peinture d'offrande, une peinture sacrée où tout est silence et sérénité. Aucun bruit, aucune interférence, une harmonie totale. Quand Baya peint la nature, c'est une sortie de printemps où l'on n'arrête pas de s'offrir des bouquets et des vases multicolores dans des edens où seuls des oiseaux fabuleux, des luths, des poissons ou d'autres merveilles sont encore admis ». Merveilleux du conte et merveilleux de la peinture fusionnent et se répondent. Faut-il à la romancière une atmosphère de sérénité pour que s’exprime l’indicible ? On sait aussi que les contes de la nuit ne racontent pas seulement des situations idylliques… Shahrazad ou d’autres narratrices disent la cruauté et la violence de la vie.


La narratrice avertit son lecteur : elle se sent scrutée par « les dizaines de portraits de femmes accrochés au mur. Je suis inquiète, l’ombre est là. Je l’ai tenu à distance toutes ces années, mais cette nuit, je la soupçonne déjà (…) je devrai composer avec elle ». Elle lui donne une clef : « Voici ce que représente Baya : un ébranlement qui précède la joie ».


Et c’est le récit de vie – l’ombre ? –, qui prend le pas sur l’évocation de Baya dans ce texte attachant, La Joie ennemie. Il replonge tout.e Algérois.e dans les sombres années évoquées. En s’ouvrant par la date de 1994, il prend en quelque sorte le relais du roman précédent de 2022, Au vent mauvais, qui embrassait, lui, soixante dix années algériennes, de 1920 à 1992, autour de trois amis d’enfance dans un village de l’Est, Tarek, Saïd et Leïla. Arrêtons-nous y un instant.


Le 29 octobre 2022, Emmanuelle Caminade en publiait une analyse très intéressante. Elle en donnait le contexte d’écriture et le sujet profond. La romancière a écrit ce cinquième roman alors qu’elle était pensionnaire de la villa Médicis. Elle avait été interpellée par l’usage de la vie privée de personnes réelles sans leur autorisation par un écrivain ; semant des petits cailloux blancs pour désigner le « coupable », cet écrivain-vampire sans être trop précise sur son identité..


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Découvrant l’intrigue et les personnages du roman d’Abdelhamid Benhadouga de 1971, Le Vent du Sud (Rih el djanoub), l’écrivaine reconnaissait l’histoire de ses grands-parents, plus d’un demi-siècle après sa publication. Elle décide donc de leur dédier son histoire, mêlant vérité documentaire et imaginaire de fiction. C’est un signe de réparation qui pose aussi la question plus morale que juridique de l’usage d’une vie privée réelle par un romancier, sans le consentement de l’intéressé.e.


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Roman historique au sens où sont abordés des événements attestés que la narratrice insère avec bonheur dans son récit, comme la mutinerie des soldats coloniaux à Versailles en 1944, le tournage de La Bataille d’Alger ou les dernières pages du roman, Au vent mauvais est aussi (surtout ?) un roman familial resserré autour du couple Tarek/Leïla et ne donnant pas le beau rôle à Saïd, le « voleur » de vie : « Saïd, lui, deviendra écrivain et il racontera leur histoire dans son roman sans même changer leur nom ni celui de leur village, confisquant ainsi leur identité et faisant d'eux "des espèces de fantômes du réel". Ce roman brisera la vie de Tarek et de Leïla, les contraignant à s'enfuir vivre dans la capitale. Et vingt ans plus tard, la montée de l'islamisme les poussera de nouveau à s'enfuir pour retourner dans leur village désert, les ramenant à leurs racines ». 

Les pages finales donnent la parole à la narratrice écrivaine en un « nous » qui l’inclut dans une collectivité : « C’était notre guerre. Et comme nos grands-parents et nos parents, nous n’en parlerons pas. Nous ne dirons rien des réveils gris et cotonneux, des nuits au décompte macabre, de notre enfance et de notre jeunesse en pointillé, de la vie qui ne s’arrête pas, non, qui fait tout le contraire, qui s’étire indéfiniment, dans une lenteur épouvantable, et où chaque jour est calqué sur le précédent ».


Si ces guerres obligent « à cohabiter avec les démons », sans doute que la nuit au musée fait remonter les fantômes et prend la suite, en quelque sorte, du roman précédent pour dire et expulser la violence et la peur, dire la guerre qui ne pouvait se dire : « les années 90 sont derrière nous, ce sont les années 2000./ La guerre est terminée ».


Déjà, son premier roman, Les ballerines de Papicha, affrontait ces démons mais avec une certaine légèreté et humour. Ce n’est plus le cas et La joie ennemie poursuit dans la tonalité plus sombre d’Au vent mauvais.


Les premiers chapitres de La joie ennemie s’attardent sur la mise en place de l’expérience musée/nuit/vie. Ils font état aussi de sa première tentative, quatre années auparavant, qui fut un échec, sa nuit avec Picasso. Cette fois, elle veut réussir et répondre à la sollicitation. Pour cela, elle doit « s’en tenir à Baya ». Programme tout tracé en commençant par les personnes réelles qui ont permis la découverte de la jeune peintre en 1947. Ils sont tous nommés et on les retrouvera au cours du récit. Albert Camus, « le figurant », apparaît un peu (déjà avec l’exergue) comme un cheveu sur la soupe puisqu’il ne fut pour rien dans la découverte de la jeune peintre ni dans la prise en charge du séjour de Baya. Mais il semble qu’on ne peut plus écrire un livre en France désormais, sans le citer… Il et vrai que dans le « film-Algérie », il est un figurant commode et consensuel. La narratrice s’attarde, à juste titre, sur la biographie d’Aimé Maeght, celui qui accueillera la jeune Baya dans sa galerie ; puis elle entame la biographie de la jeune fille, complétée à d’autres moments du texte. 


Rupture alors dans le déroulé chronologique de la nuit au musée : au chapitre 6 (p. 57) un titre, « Définitif », dont on comprend le sens plus loin, livre l’événement fondateur du traumatisme : en juin 1994, alors que les Algériens qui le peuvent quittent le pays en proie à la violence islamiste, son père décide de rentrer au pays avec toute sa famille alors qu’ils sont à Grenoble depuis quatre ans, décision que la petite fille de 8 ans subit sans vraiment la comprendre : c’est ce retour au pays qu’il dit « définitif ». On commence à comprendre qu’une des raisons du récit est d’éclairer cette décision du père. Elle rejoint ainsi en partie, outre les nombreux romans algériens sur la décennie noire, ce que Delphine Edy a affirmé, la fréquence des récits de filiation au festival d’Avignon, cette année (Collateral, 8 juillet 2025).


C’est donc le retour et le voyage vers l’Est pour rejoindre la maison des grands-parents.

« Et puis le chaos »… phrase lourde et qui laisse la lecture en suspens pour revenir à Baya et Picasso : « Il m’a fallu cette deuxième nuit, à l‘Institut du monde arabe, cette fois directement sous les toiles de Baya, pour avoir le courage d’aller creuser de nouveau, fouiller, excaver les histoires, me confronter aux archives, aux récits, aux silences. Et au doute, surtout. 

Il me restait pourtant une question à laquelle je n’avais pas de réponse : Comment sortir de la grande nuit ? »


S’il n’est pas possible de mettre en mots ce « chaos », peut-être y parviendra-t-elle en restant « dans les contours de la vie de Baya ». Baya, cette vie exceptionnelle d’une créatrice algérienne, est à la fois le prétexte et le refuge pour écrire son propre récit de vie qui se poursuit pendant quelques pages, en quatre chapitres, en insistant sur les oiseaux et les fleurs qui envahissent ses peintures et, en particulier les strelitzias, « les oiseaux de paradis ». Les encouragements qu’a reçus la jeune adolescente, « Fais ce que tu veux » de celle chez qui elle vit et travaille, donnent l’opportunité d’évoquer le passage qu’elle a dû faire d’une culture à l’autre : « D’après les lettres, archives et notes de Marguerite, Baya se montre douce et navigue entre deux cultures, deux univers sans trop de mal, même si les débuts sont laborieux ». Invitée à dessiner, elle invente : « Baya cherche, se remémore, invente ou réinvente, dessine sa mère. Et l’associe à des fleurs, des papillons, des enfants, d’autres femmes ». On suit la toute jeune peintre dans la transformation progressive de sa vie.


Puis trente pages après la première annonce laissée en suspens…, elle est reprise : « Et puis le chaos » : cette fois on comprend que sur la route de l’Est, la voiture familiale a été arrêtée par un faux barrage – hantise de tous les Algériens en ces années-là. Retrouvant sa touche d’humour, Kaouther Adimi rapporte une blague dont les Algériens ont le secret dans les moments d’angoisse : un noceur, bien éméché, est arrêté à un faux barrage et se fait invectiver par les islamistes : « Bon, dépêchez-vous de m’égorger, je n’ai pas que cela à faire, moi, je suis pressé »…


Une fois l’obstacle mortel réglé, l’installation chez les grands-parents est de courte durée et il faut repartir pour Alger. La narratrice s’interroge sur les pièges de la mémoire qui déforme car les souvenirs qu’on croit exacts sont remodelés : « quelle histoire faut-il raconter, celle des faits ou celle de la mémoire ? En cela, l’histoire de Baya m’apparaît plus lisible ».


Le récit de vie familiale se met en pause pour consacrer une dizaine de pages à Baya et à la manière dont elle a vécu à Paris et les célébrités qu’elle a rencontrées. La famille déménage à nouveau d’El-Biar à Beni Messous. Kaouther est inscrite au lycée Descartes. Elle écrit à son amie de Grenoble, Joséphine : « S’il est désormais admis que ma mémoire me fait défaut et qu’il m’est bien sûr impossible de me souvenir de mes mots, je crois savoir ce que je ne lui raconte pas.

Je ne dis rien de l’effroi de mes nuits, des loups que j’entends hurler et qui n’étaient peut-être pas des loups, je ne dis pas que chaque réveil, aussi gris soit-il dans ce pays qui a perdu ses couleurs, est un miracle ».


La peur enkystée a produit un mal au ventre comme choc post-traumatique. Ce mal est devenu une réalité de sa vie. Alors Baya ? : « Baya est mon point d’appui, la colonne vertébrale de ce texte. Sans elle, l’écriture vacille. Baya est ce qui me permet de tenir, de reprendre souffle, lorsque les souvenirs me submergent ». Elle fait sienne l’analyse d’Anissa Bouayed, dans le catalogue de l’Exposition qui souligne : « (…) une extraordinaire chance d’accéder à la célébrité saisie par une jeune Algérienne, incontestablement douée, mais jamais nommée comme telle, et celui d’une volonté politique de faire comme si l’Algérie heureuse était une réalité pour toutes les communautés, alors que les plaies du 8 ami 1945 et de l’immense répression qui s’ensuivit ne sont pas refermées ».

Auparavant, la citation d’une lettre trouvée de Camus parle, très exotiquement, d’une « princesse au milieu des barbares »…


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Il est alors temps de dire tous les mensonges sur la vie de Baya et de donner la version privilégiée par la narratrice. Il est temps aussi d’affronter jusqu’au bout ses « démons » en faisant des recherches et en interrogeant les autres membres de la famille. Il lui faut investir son « algérianité ». Une citation de Jacques Derrida appuie sa démarche, ses écueils et ses traces : «  Il n’y a pas d’archives sans destruction, on choisit, on ne peut pas tout garder. Là où on garderait tout, il n’y aurait pas d’archives. L’archive commence par la sélection, et cette sélection est une violence. Il n’y a pas d’archive sans violence ».


Cet investissement de son « algérianité », nécessite le retour sur l’enfance du père comme un éclairage sur sa décision de 1994. C’est le retour aussi sur les films où il a voulu immortaliser les moments familiaux heureux. Elle récuse ce qui est alors sélectionné, une part de « l’Algérie heureuse » de ces années-là qu’elle vit comme un mensonge ou du moins une réalité très partielle, « ce qui avait été autorisé à exister. Pas la nuit, pas les cris étouffés, pas le silence ». Son projet est alors, avec ce livre, d’écrire « une contre-archive » ; et d’éclairer, néanmoins, l’Algérie en gris et noir de ces années-là par les couleurs de Baya.


Son récit atteste du dernier attentat auquel elle a assisté et auquel elle a miraculeusement échappé. Elle confronte aussi ses propres souvenirs avec ceux de son frère. Elle échange avec son amie Nesrine et se souvient de leur visite au Musée des Beaux-arts du Hamma, en 2009. Visite importante puisque c’est alors qu’elle a découvert un Picasso et compris ce qu’était la vraie joie, « pas la joie ennemie, pas cette joie furieuse, cette joie fourbe qui vient après la guerre, celle-là même que nous avons en nous, qui nous nourrit de l’intérieur depuis maintenant vingt années, non c’était la vraie joie, la vraie joie et Picasso, à Alger en 2009 (…) et Baya ensuite »

Car, après Picasso, elles découvrent Baya :

« Devant le bleu et le rose, devant la myriade de couleurs qui me sautent aux yeux, au cœur, à l’âme. Après toutes ces années de grisaille, de peur et de silence imposés par la guerre, les couleurs sont là, vives et vibrantes ».


***


La lecture achevée de cette nuit à l’Institut du Monde Arabe avec Kaouther Adimi et Baya, ce qui reste ancré en soi est bien un conflit de couleurs : le rose, le mauve, le bleu de Baya et le noir des souvenirs de la narratrice. Quel est le point de jonction ? Comment le récit de vie rencontre-t-il les créations de Baya ? Il me semble que lorsqu’elle découvre les peintures de Baya au Musée des Beaux-arts d’Alger, Kaouther Adimi a trouvé un espace de connivence et, peut-être, de réconciliation : « Je tombe amoureuse de Baya, d’Alger, et de vous tous qui avez vécu cela avec moi. (…) Je choisis de vous aimer, vous avec qui je partage le secret des nuits interminables. Je choisis la joie ».


Elle a cherché à savoir comment Baya a vécu « cette terrible période ». Ce que La joie ennemie ne dit pas, c’est que Baya a déjà vécu les épreuves au moins aussi perturbatrices de la guerre d’indépendance. Au moment des années noires, Baya n’a pas quitté l’Algérie, elle a gardé ses habitudes. A ceux qui l’incitaient au départ, elle a répondu : « je n’ai pas à avoir peur, je suis au milieu de gens qui m’ont toujours connue ».


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Les quelques soixante pages consacrées à Baya offrent l’essentiel de ce que ce nom fait surgir : en 1947, la première exposition de Baya était accompagnée de son conte, Le grand Zoiseau, et de textes dont celui d'André Breton : « Baya, dont la mission est de recharger de sens ces beaux mots nostalgiques : l'Arabie heureuse. Baya qui tient et ranime le rameau d'or ». Le texte de Breton indiquait les Mille et une nuits dans l'imaginaire de la jeune peintre autodidacte. Cette référence aux contes arabes, Jean de Maisonseul y revient avec plus d'insistance en 1982 en s'interrogeant sur le mystère de la création chez Baya. Il reprend l'appréciation de l’écrivain Henri Kréa, en 1966 : « Dames de haut lignage portant hennin, jouant de la harpe où, sous les jasmins nagent, immobiles, les poissons bleus dans la vasque d'albâtre ». Il  remontait aussi aux rêves de l'Orient le plus lointain, à la Huppe fabuleuse qui vient s'inscrire dans la peinture de Baya, par une filiation mystérieuse entre une oralité contée et les signes peints sur l'espace blanc de la feuille. 


Depuis, comme le montre la citation d’Anissa Bouayed, on a regardé la peinture de Baya pour son apport et non comme justification d’une Algérie coloniale heureuse, sans tension ni combat. Or, ce n’est pas on plus une « Algérie heureuse » qu’a contée Kaouther Adimi mais la capacité de l’art, même lorsqu’on vit une Algérie tourmentée en proie à une guerre civile, à dire une transformation du réel en s’appuyant néanmoins sur une part de la réalité. 


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Et alors, La joie ennemie où plus de cent quarante pages sont consacrées au récit familial, à la difficulté de comprendre la décision du père et au traumatisme engendré par la peur vécue est aussi, en partie, une « lettre au père ». Le récit veut comprendre et pour le faire il lui fallait l’accord de ses parents et de ses frères qu’elle remercie : il n’y aura pas là vol de vies mais récit de son point d’observation de petite fille puis de jeune fille. Et c’est bien au père qu’elle s’adresse avant les remerciements : « J’envoie ce texte à mon père avec l’espoir qu’il comblera les trous. (…) ». Il lui répond : «  Je n’ai rien à ajouter. Bonne chance à ton livre ». La joie ennemie vient enrichir la « bibliothèque » algérienne sur la décennie noire, chaque roman, chaque récit enrichissant les archives de ces temps d’un éclairage particulier, ici d’un  récit personnel et familial assumé et bien contextualisé. L’essai incite aussi à s’imprégner des peintures de Baya de leur luminosité et de leurs rêves de vie.




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  • Kaouther Adimi, La Joie ennemie, Stock, août 2025, « Ma nuit au musée », 256 pages, 19,90 euros 

  • «  Baya parmi nous », dossier de la revue Algérie Littérature/Action,  n°15-16, nov.-déc. 1997.

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