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La revue RADICAL(E) : "Nous avons choisi de publier des autrices pour donner à entendre une polyphonie de femmes"

  • Photo du rédacteur: Johan Faerber
    Johan Faerber
  • 15 oct.
  • 6 min de lecture

Affiche du dernier numéro d'été 2025, (Radical)age.
Affiche du dernier numéro d'été 2025, (Radical)age.


Avec RADICAL(E), Guylaine Monnier & Amélie Guyot offre une revue riche de création et de réflexion sur l'acte poétique même tel qu'il peut s'élaborer au féminin. En effet, c'est une véritable polyphonie de femmes qui se déploie sous forme poétique, sous forme plastique dans une revue qu'on ne peut que suivre avec ferveur. Collateral ne pouvait manquer dans sa Quinzaine des revues d'interroger Guylaine Monnier sur ce projet si revigorant.



Comment est née votre revue ? Existe-t-il un collectif d’écrivains à l’origine de votre désir de revue ou s’agit-il d’un désir bien plus individuel ? S’agissait-il pour vous de souscrire à un imaginaire littéraire selon lequel être écrivain, comme pour Olivier dans Les Faux-Monnayeurs de Gide, consiste d’abord à écrire dans une revue ? 


La revue RADICAL(E) est née d’une publication de Nicolas Vermeulin en 2019, à laquelle nous avions participé en tant que poétesses invitées. Nous l’avons prolongée et personnalisée.

En tant qu’autrices, souvent publiées en revue, nous avions à cœur de trouver des réponses, même approximatives, à nos propres expériences, par occasion frustrantes. À commencer par l’attention à consacrer aux personnes et à chaque étape du projet.

La revue accueille plusieurs textes d’autrices par numéro. Elle se présente comme une affiche au format A2, une fois dépliée. Au début du confinement, j’ai eu besoin de revenir à une pratique plasticienne et j’ai investi la revue imprimée, comme support. La nécessité et le geste décidèrent de la forme à venir. 

Il y a donc eu une volonté de poursuite d’un objet littéraire, plus que celle d’un désir de revue. Et cela sous-tend l’idée d’appartenance à un collectif et à une forme. 

Pour ma part, j’ai commencé de participer à des revues, en quête de légitimité mais aussi parce que leurs modalités simples s’intercalent facilement dans une vie active, tout en permettant voire en nourrissant et dynamisant un travail d’écriture long, par ailleurs.

Ainsi, nous sommes convaincues de l’importance des revues, pour le lectorat, celui notamment qui peut découvrir plusieurs univers littéraires réunis, comme pour les auteurs qui y participent, jeunes plumes curieuses de trouver une famille littéraire et une audience, et d’autres souhaitant mettre à l’épreuve un travail en cours ou se saisissant de pistes littéraires nouvelles.




Quelle vision de la littérature entendez-vous défendre dans vos différents numéros ? Procédez-vous selon une profession de foi établie en amont du premier numéro ? 


Nous (Guylaine Monnier et Amélie Guyot) sommes attentives à la poésie et à la prose poétique contemporaine. Le travail sur la langue est au cœur de notre projet, dans sa fonction de matériau que le geste assigne. La démarche est proche de la fabrique.

Notre profession de foi, établie au commencement de cette entreprise, fut de définir la revue RADICAL(E) comme une revue au féminin. C’est-à-dire que nous avons choisi de publier des autrices pour donner à entendre une polyphonie de femmes, comme le serait une chorale soprano pour ses enjeux artistiques. Cette question du genre, de ce qu’il fait à la langue, ne se pose ensuite ni dans les sujets ni en terme d’adresse.

Par ailleurs, RADICAL(E) s’appuie sur le « livre pauvre » diffusé hors circuit commercial, mêlant texte et dessin, la rencontre de leurs auteurs (à propos du livre pauvre, Leuwers parle de création en escorte) ; le tract, militant et à faire circuler (poésie pour tous) ; puis l’affiche, publique, à exposer. Au-delà de l’héritage historique et de la fonction, ces formats sont intéressants à investir formellement.


 

Comment décidez-vous de la composition d’un numéro ? Suivez-vous l’actualité littéraire ou s’agit-il au contraire pour vous de défendre une littérature détachée des contingences du marché éditorial ?


Chaque numéro n’accueillant que cinq à huit autrices, il y a peu de places. Pour la composition, l’affiche se compose en zones déterminées ; elle est contraignante et peut même orienter le choix des textes selon leur longueur. Il faut pourtant respecter la singularité de chaque texte, accorder davantage de place aux blancs, pour la lisibilité de l’objet déplié mais aussi pour permettre les « versions Open Art » qui suivront.

La revue se nomme RADICAL(E), avec une écriture ici attendue, un état. Dès le deuxième numéro, nous avons refusé le système de numérotation, trop éloigné de notre enjeu poétique, lui préférant la variation du RADICAL, (Radical)ice, (Radical)ette, (Radical)ine, (Radical)ame, avec son ancrage saisonnier... Pour l’édition, c’est l’occasion d’un jeu renouvelé autour de la langue et l’identité féminine de la revue. À commencer par la connotation du mot imaginé qui vaut pour sujet d’inspiration dans la fabrique du numéro.

Pour chacun, l’élément déclencheur de son métabolisme éditorial aura pu être : le nom du numéro, un texte d’autrice invitée, une photographie (au nombre de trois par numéro). Le choix des textes sera donc fonction de ces points d’ancrage successifs dont l’ordre varie.

Il n’y a donc pas de thème annoncé, seulement cette déclinaison dont on peut ou non s’inspirer. Je n’aime pas la notion de thème, qui ne tient pas compte du continuum de création des auteurs, leur imposant un travail hors des préoccupations en cours.

Nous avons fait le choix, pour chaque numéro, d’inviter au moins deux autrices, par affinité littéraire, sans lien avec les contingences du marché. Je ne pense pas que nous suivions l’actualité, sauf à nous faire découvrir certaines autrices. 

Nous avons eu la joie d’accueillir Hélène Grimaud et Claude Favre pour le dernier numéro d’été (Radical)age et auparavant, des poétesses dont l’écriture nous importe, Marie de Quatrebarbes, Marie-Louise Chapelle, Laure Gauthier, Anne Kawala, Maxime Hortense Pascal, Laura Vazquez ou encore Liliane Giraudon. Pardon à celles que nous ne citons pas ici, par manque de place, car toutes importent, bien sûr, dans la rencontre au texte mais aussi avec l’autrice, qu’elles aient été invitées ou non. 

Les autres textes sont donc issus d’un appel à texte, ouvert à toutes, autrices publiées ou inédites, nous tentons d’en publier deux par numéro. Les textes sont anonymisés avant lecture, c’est important. Notre revue est ainsi riche d’univers et de différences.


 

Version Open-art de Liliane Giraudon.
Version Open-art de Liliane Giraudon.


À la création de sa revue Trafic, Serge Daney affirmait que tout revue consiste à faire revenir, à faire revoir ce qu’on n’aurait peut-être pas aperçu sans elle. Que cherchez-vous à faire revenir dans votre revue qui aurait peut-être été mal vu sans elle ? 


Nous n’avons pas la prétention de faire revoir ou de faire revenir.

Cela dit, nous résistons à quelque chose qui excède le cadre « classique » de la revue, tout en souhaitant rassembler, proposer un espace commun où faire circuler les voix, un espace de jeu formel. Dans cette idée de libre partition, est née la nécessité de proposer en contrepoint du format imprimé de la revue en N&B, une version « Open Art ». Aussi, chaque autrice dispose-t-elle librement d’exemplaires, matière pour créer de nouvelles propositions plastiques qu’elles peuvent vendre (dessin, caviardage, collage, réécriture, etc.) Ces interventions se font en public, en général, au Marché de la poésie chaque année ou au Salon de la revue.

Nous constituons une collection que nous projetons d’exposer. Cette seconde phase est un temps de (ré)appropriation de l’objet par ses actrices, un temps de retour, de revenir, sur publication (que ne peut permettre une revue traditionnelle). Cette démarche est militante, c’est un retour sur création du littéraire qui l’a précédé. 

L’expérience étant d’autant plus réjouissante qu’elle ouvre alors une réflexion nouvelle sur comment réinvestir, compléter ou augmenter l’objet littéraire imprimé. Il y a dans le geste même quelque chose de spontané et naïf qui me touche beaucoup. C’est une forme de générosité, qui commence par la lecture attentive des autres textes, un revoir de ces parties là, la sienne comprise dans l’ensemble. Nous sommes bien dans le collectif. C’est ainsi que le « revoir » et le « revenir » font sens pour nous, pour chaque autrice, sa création, celle des autres, au sein d’une unité de forme et en réponse au collectif.


 


Est-ce qu’enfin créer et animer une revue aujourd’hui, dans un contexte économique complexe pour la diffusion, n’est-ce pas finalement affirmer un geste politique ? Une manière de résistance ? 


Nous n’avons pas de modèle économique et le commerce ne nous intéresse pas. Comment faire Art avec une économie restreinte, notre réponse a été en jouant des codes du livre pauvre. Notre revue (au tarif de 6 euros) subsistera tant que nous aurons assez d’énergie pour l’investir et que nous pourrons financer son impression et la location de stands pour la diffuser. L’objet est fragile pour être accueilli en librairie et cette fragilité éclaire aussi la fragilité de la parole. 

La diffusion de la revue se fait donc sur Internet ou en salon / festival essentiellement. 

Au-delà de nos publications, nous répondons avec le plus grand plaisir à des invitations, en organisant des lectures, des performances Open Art ou encore des séances de vidéopoèmes de nos autrices. 

Rencontrer les autrices, rencontrer le public, faire en sorte que les autrices se rencontrent entre elles, dans un espace préservé, c’est l’idée même de notre collectif.



Le site Internet de la revue : 


Sur Instagram : 



Laure Ladel, au Marché de la poésie, intervention Open Art en public, 2025.
Laure Ladel, au Marché de la poésie, intervention Open Art en public, 2025.





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