Le bébé : l’avenir de la psychanalyse ?
- Steven Sampson
- il y a 5 jours
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Le bébé, une chance pour la psychanalyse, essai de Bernard Golse, considère le nourrisson comme une opportunité pour le freudisme. Le pédopsychiatre français insiste sur la distinction entre « précoce » et « profond », en suggérant que l’observation du premier chez les petits pourrait approfondir notre compréhension du second chez les grands.
Une naissance est révolutionnaire, pour la famille aussi bien que pour d’autres pans de la société. Le bébé, une chance pour la psychanalyse, dernier livre de Bernard Golse, montre comment l’irruption du nouveau-né pourrait bouleverser le freudisme. Sigmund a-t-il considéré cet « événement » à sa juste mesure ?
Comme le dit l’auteur, aujourd’hui la psychanalyse « n’a plus le vent en poupe », elle est « considérée comme définitivement morte et enterrée et (…) sans avenir aucun ». Les attaques à son encontre reviennent souvent sur la question de sa pertinence dans le traitement de très jeunes enfants, d’autistes et de psychotiques. Or, selon Golse, les nouvelles connaissances par rapport au développement infantile représentent une occasion formidable pour cette discipline de remonter la pente. On se souvient que Serge Lebovici s’appuyait sur la phrase d’Aragon – « La femme est l’avenir de l’homme » –, pour demander si, de la même manière – puisque le bébé reste vivant indéfiniment dans l’homme –, il pourrait représenter l’avenir de la psychanalyse.
Golse poursuit cette piste, en reliant la psychanalyse à l’histoire des sciences : elle est née à une époque où les modèles dominants étaient l’hydraulique et la thermodynamique – d’où la centralité de la conception freudienne des résistances ainsi que sa vision dynamique de la pulsion. L’évolution des connaissances scientifiques – notamment concernant l’enfant – pourrait-elle infléchir le corpus métapsychologique actuel, i.e. la « perspective psychanalytique », sans remettre en cause la cure-type ?
Golse répond par l’affirmative, en insistant sur la modernité du cadre épistémologique de la psychanalyse : il anticipe les découvertes de la science contemporaine. D’abord, il faut voir le concept freudien de « série complémentaire » comme l’ancêtre du modèle polyfactoriel, central aujourd’hui en psychopathologie, et de plus en plus important dans la médecine psychosomatique. Cette dernière repose sur l’analyse de facteurs à la fois endogènes et exogènes, à l’instar de la série complémentaire, où tout se joue à l’exact entrecroisement du dedans et du dehors, voire à l’interface de la part personnelle du sujet et sa rencontre avec l’environnement. Freud n’a-t-il pas intitulé son étude de 1905 « Pulsions et destins des pulsions », alors qu’il aurait pu l’appeler « Pulsions et développement des pulsions » ? Autrement dit, ce qui compte, c’est l’instant où la pulsion rencontre le monde extérieur.
Aujourd’hui, on tend à oublier que la pratique de la psychanalyse se fonde sur le concept de « vérité locale » : pour être valables, les interprétations doivent puiser dans le processus du transfert/contre-transfert. La psychanalyse serait alors « une métaphysique du cadre », ce qui la rapproche des sciences expérimentales, où l’observateur agit forcément sur la situation observée. De surcroît, ce qu’il observe n’est pas tangible, pas plus que des nucléons, des protons ou des quarks dans le domaine de la physique. La dialectique contenant/contenu, souvent associée aux travaux de Bion, était déjà présente chez Freud : en 1900 il opérait une distinction entre, d’une part, le désir comme « entrepreneur du rêve », et d’autre part, les restes diurnes ainsi que les souvenirs infantiles comme « matériaux du rêve » ; on voit alors, selon Golse, un précurseur de l’opposition dynamique entre contenant et contenu qu’on retrouvera dans les sciences expérimentales. Pourtant, psychanalystes et neuroscientifiques n’arrivent toujours pas à tenir de véritables débats, cela est dû en partie à une certaine inculture chez ces derniers, ainsi qu’à une certaine intolérance.
Comment sortir de l’impasse ? Golse mise sur le bébé : lui pourrait éventuellement « légitimer » la psychanalyse de l’enfant, plus particulièrement celle de l’enfant préœdipien. Si, jusque-là, la théorie de l’interprétation était trop centrée sur la question de l’énoncé, Golse espère qu’en étudiant le bébé, on pourrait redécouvrir le développement préverbal. Winnicott lui vient à l’appui, avec sa dialectique de « précoce » et « profond », distinction auparavant gommée par Strachey : tandis que l’analyse donne accès « aux reconstructions fantasmatiques » faites par le patient de son développement précoce, l’observation du nourrisson ouvre d’autres portes. Winnicott voyait cette dialectique comme essentielle : « Ce seront toujours les observateurs directs qui diront aux analystes que ces derniers ont fait une application trop précoce de leurs théories. Et les analystes continueront à dire aux observateurs directs qu’il y a beaucoup plus dans une nature humaine que ce qui peut être observé directement. »
Golse appelle alors à la construction d’un « pont entre le bébé observé et le bébé reconstruit ». Même si, comme l’a dit Winnicott, on ne peut espérer s’affranchir de l’amnésie infantile, même si l’activité de reprise fantasmatique ne peut remonter au-delà du dix-huitième mois de la vie, Golse enjoint le psychanalyste d’« osciller lui-même de manière dialectique entre le bébé observé dans la réalité externe et le bébé que l’analyste reconstruit en même temps dans sa propre réalité interne ». Le profond et le précoce pourraient ainsi se rejoindre, créant une nouvelle « temporalité », celle qu’on trouve dans La danseuse de Patrick Modiano, roman qui montre, selon Golse, « que les souvenirs ne sont pas du passé mais une sorte de présent éternel ».

Bernard Golse, Le bébé, une chance pour la psychanalyse, Campagne Première, janvier 2025, 150 p., 12 euros