Le premier roman de Romane Lafore, Belle infidèle (2019), proposait une enquête passionnante sur la réception de la fiction en jouant avec le lecteur grâce à une intrigue originale. Ce deuxième roman confirme le talent de l’autrice à raconter des histoires et à étonner le lecteur.
Détournement du sacrement de la confession
La narratrice s’adresse à un destinataire dont on ne connaîtra l’identité qu’à la fin du roman. Elle annonce qu’elle a un péché à avouer mais en retarde l’aveu en se lançant dans le récit de sa vie.
« Je ne peux pas procéder dans l’ordre, la honte me revient par spasmes. Je sais que vous ne pouvez pas me donner l’absolution mais j’ai besoin de me libérer. »
La confession se fait en quatre séances scandées par ses commentaires sur un SDF installé à l’entrée du lieu où elle se déroule. L’intérêt du lecteur est aiguisé par ce récit de vie qui laisse planer le mystère du pêché à avouer et du personnage à qui elle s’adresse mais aussi par le renversement subversif de la confession.
Le ventre vide
Agnès, est une jeune femme catholique traditionnaliste. Elle a fait sa scolarité à la Maison d’Education de la Légion d’honneur, comme ses cinq sœurs. Son père, pharmacien, est « objecteur de conscience depuis 1997 » : il refuse de vendre la pilule du lendemain. Elle réalise son rêve d’épouser un Saint-Cyrien et abandonne son Master de Lettres. Elle est fière d’être une PAM (Pas Avant le Mariage) et s’engage dans la Manif pour tous. Alors que le destin d’Agnès semblait tout tracé, bien ancré dans sa communauté, qu’elle avait déjà prévu les prénoms de ses six enfants, elle ne parvient pas à tomber enceinte. Elle reste le « ventre vide », premier titre auquel avait songé l’autrice. Cette infertilité bouleverse son rapport à sa famille, à son mari et à sa foi. Elle est, en effet, confrontée au regard des autres et surtout aux convictions de son mari qui refuse longtemps toute intervention médicale car « Dieu peut tout » et qui considère comme blasphématoires les craintes d’Agnès :
« Quel dysfonctionnement ? Le dysfonctionnement de l’espérance ? le dysfonctionnement de savoir attendre les décisions du bon Dieu ? Le dysfonctionnement de préférer ne pas avoir de bébé qu’en avoir un de synthèse, né dans une éprouvette ? »
Pour ne rien arranger, elle est confrontée dans ses activités bénévoles, à des femmes qui sont enceintes mais qui veulent avorter.
Le militantisme anti-avortement
Au début de son mariage, Agnès s’implique dans une association, « Ecoute-avortement ». Elle consacre plusieurs heures par jour au tchat du site puis à la permanence téléphonique. Le principe est de profiter de la fragilité de ces femmes confrontées à une grossesse non désirée pour les dissuader d’avorter. La technique est rôdée. Il s’agit de commencer par des questions qui semblent conformes à un accompagnement puis à lancer la « phrase pivot, celle qu’on appelle dans notre jargon « la gare de triage » » pour permettre de catégoriser la femme afin d’adapter le discours à l’un des trois profils psychiques identifiés. Pour la « physio » qui se préoccupe de son corps, elles inventent des complications physiologiques comme le fait que le col resterait ouvert des semaines après l’aspiration ou le risque important d’hémorragie. Pour la « psycho » qui se préoccupe de l’enfant, l’emploi du terme « bébé » permet de la déstabiliser. Enfin, on touche les « spi » « déjà sensibilisées à la cause », en utilisant le terme « vie » pour désigner l’embryon. Agnès est une bénévole zélée, elle est fière de sa métaphore du Kinder surprise que je vous laisse découvrir. Elle ment donc sans vergogne mais sans avoir l’impression de pêcher.
Ces méthodes ne sont pas seulement immorales mais aussi illégales puisque les concepteurs du site détournent les moteurs de recherche pour défier « la mainmise de l’Etat sur l’utérus des femmes en tentant de sauver le plus de vies possibles ». Quand une procédure judiciaire est lancée pour « délit d’entrave », le lobby catholique semble suffisamment puissant pour que la loi soit « amendé[e] des quelques garde-fous que nos militants, en haut lieu, étaient parvenus à faire voter ». Le site d’Ecoute-avortement peut continuer à sévir.
A la différence des Bienveillantes de Jonathan Littell ou du Sari vert d’Ananda Devi dans lesquels les monstres restent de vrais monstres, Agnès est plus ambiguë. Sa longue « confession » lui permet de fendre le carcan que peut représenter la religion en cherchant à se comprendre :
« On m’a toujours répété que la beauté de la femme est intérieure, que c’est Dieu en nous qui est beau. Qu’est-ce qui reste, alors, une fois qu’Il est parti ? Une bonne femme ingrate en uniforme marine et beige, qui affiche dix ans de plus que son âge et implore gauchement l’asile en poussant la porte carillonnante d’un institut de beauté ? »
Dans la présentation qu’elle fait de son roman pour sa maison d’édition, Romane Lafore explique qu’elle n’a pas voulu écrire un pamphlet car la religion catholique est « sa madeleine de Proust ». Elle affirme ressentir un mélange de « tendresse et d’effroi » pour cette religion. Toutefois, si on ne partage pas ces souvenirs d’enfance, il reste surtout l’effroi face à la violence que peut engendrer la foi.
Romane Lafore, La Confession, Flammarion, août 2024, 256 pages, 20 euros
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