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Photo du rédacteurDelphine Edy

Un quatrième Paysage sensible et artistique autour de Milo Rau au Maillon Théâtre de Strasbourg

Dernière mise à jour : 20 nov.


Medeas-Kinderen © Michiel Devijver


Quand la scène se conjugue avec l’activisme politique pour faire entendre des voix sinon inaudibles, on sait qu’on est face à un geste esthétique et éthique qui fera date. Détour par Strasbourg à l’aube d’une semaine théâtrale et culturelle intense qui met à l’honneur l’une des figures majeures de la scène contemporaine européenne.


Le Paysage de la saison 2024-2025, au Maillon Théâtre de Strasbourg, invite le public à découvrir le travail et l’univers de Milo Rau, directeur artistique des Wiener Festwochen depuis 2023.  Entre le 21 novembre et le 1er décembre 2024, il sera possible d’assister à deux spectacles très récents, Antigone in the Amazon (2023) et Medea’s Children (2024), de voir l’un de ses longs métrages, Le Nouvel Évangile (2020), et de participer à des rencontres singulières que le Maillon a à cœur de rendre accessible à toutes et tous.


Le format Paysage s’étire sur le temps long (dix jours et non une seule soirée). Il fournit l’occasion de rencontrer autrement l’imagination d’un artiste, l’étendue de son œuvre bien sûr, mais également son paysage mental et sensible. Le public est invité à prendre le temps de plonger dans un univers artistique particulier, à creuser des sillons décelés dans un spectacle, à aller plus loin dans la compréhension d’une œuvre, à faire un pas de côté, seul, mais aussi avec d’autres spectateur·ices ou artistes, à « penser avec des épaisseurs », dirait Deleuze. Car il ne s’agit pas seulement d’une offre culturelle ou artistique, mais bien d’une démarche résolue qui propose d’adopter un autre regard, d’accumuler diverses expériences, de se saisir d’un geste performatif afin de vivre une aventure de théâtre. Pour Barbara Engelhardt, directrice du Maillon, il est essentiel de « fidéliser le public avec des artistes dont il a déjà pu découvrir l’univers, non pas pour en devenir nécessairement de fins connaisseurs, mais pour créer du commun et lui permettre de vivre ces retrouvailles comme une grande fête ».


Qu’il s’agisse de retrouver Milo Rau (l’artiste a déjà présenté Mitleid. Die Geschichte des Maschinengewehrs (2016) et EMPIRE (2019) au Maillon) ou de le rencontrer pour la première fois, les dix jours à venir seront un moment clé qui permettra de mesurer la puissance de cet artiste, dont le « débordement » est devenu une marque de fabrique : Milo Rau hybride les pratiques en articulant théâtre, performance, musique live et cinéma et conjugue fiction et non-fiction, dans le but de se confronter à la déréalisation que nous imposent les médias et créer un nouvel objet théâtral. 


L’artiste produit des spectacles en partant du réel, posture théorisée dans le Manifeste de Gand (1) où il décline ses ambitions artistiques, esthétiques et politiques en dix points, afin de rétablir un théâtre d’auteur. Son œuvre est reconnue aujourd’hui comme subversive et radicale, grâce à un processus visant à rejouer l’histoire (que ce soit l’histoire avec un grand H ou des faits divers), à l’écrire, et surtout à la mettre en mouvement, en acte. Sa méthode, le reenactment, interroge notre rapport au réel en le recréant : Milo Rau réfute en effet l’idée de documentaire et cherche à « créer une disposition à l’imaginaire collectif par le détour du réel » (2) pour faire advenir une forme actualisée de catharsis au cœur de la représentation.


 L’artiste est à ce jour l’une des grandes voix engagées dans le monde du spectacle vivant et des arts. Saisissant chaque occasion (au théâtre, mais aussi dans la société civile) d’aiguiser son regard sur le monde, il propose au public de se positionner et, ainsi, de participer aux dynamiques contemporaines, en approchant l’Autre (son entourage familial ou amical, ses voisins plus ou moins lointains…), non au travers de stéréotypes ou d’opinions affirmées, mais en instillant un espace qui nous fasse douter de notre rapport au monde et interroger notre propre positionnement social, politique et éthique. 


Après avoir questionné les enjeux liés aux guerres (comme le génocide rwandais), à de grands procès criminels (tel l’affaire Dutroux) ou aux flux migratoires, il s’intéresse actuellement aux mythes, notamment antiques, en les articulant aux questions familiales. « Cette fois-ci, l’accent sera mis sur sa façon surprenante, fine et sensible, de recourir aux mythes antiques pour donner une couleur et une profondeur particulières au regard touchant qu’il jette sur le monde », explique Barbara Engelhardt. Avec Antigone in the Amazon, il cherche à saisir un moment historique au prisme de l’histoire d’Antigone, pour mieux creuser les défis liés aux interactions humaines qui sont les nôtres aujourd’hui. 


Il met en scène la révolte d’une Antigone du XXIe siècle, sur les lieux mêmes où dix-neuf ouvriers agricoles ont été assassinés par la police militaire en 1996. Là où 10 % de la population possèdent 80 % du sol, le Mouvement des sans-terre (MST) se mobilise contre une tyrannie économique soutenue par l’État. […] Face à l’exploitation à outrance des ressources naturelles, l’oppression des populations et la violence du pouvoir, le récit antique donne forme au soulèvement pour un changement global. (Dossier de presse, Maillon, 2024)


Au travers de son travail autour de Médée, Milo Rau explore les tabous liés à une chose qui reste de l'ordre de l'incompréhensible, de l'intouchable, tant il semble impossible de saisir pleinement ce qui peut amener un humain à déraper complètement et à faire de la pure violence la seule réponse à sa misère, son désarroi, à son profond malaise dans la société. 


Rencontrer l’œuvre de Milo Rau imposera la nécessité de « douter du premier regard », comme le rappelait le titre de l’éditorial de Barbara Engelhardt à l’aube de cette saison 2024-2025, soulignant ainsi que les choses se sont jamais si claires ni si évidentes qu’elles en ont l’air. Douter, une condition sine qua non pour repenser notre rapport au monde et espérer, peut-être, trouver un fondement solide à la vérité. Gageons que ces dix jours à venir seront le terrain idéal pour s’émouvoir, s’interroger et réfléchir ensemble, en n'oubliant jamais de douter!


NB : Barbara Engelhardt a su se rendre disponible pour un temps d’échanges généreux, dans un agenda pourtant particulièrement chargé. Qu’elle en soit très sincèrement remerciée ! 



Antigone in the Amazon © Kurt van der Elst


Le programme :


ANTIGONE IN THE AMAZON (1h45) : 21, 22 et 23 novembre à 20h30.


MEDEA’S CHILDREN (1h30) : 30 novembre à 20h30 et 1er décembre à 17h.


LE NOUVEL ÉVANGILE (film de 1h45) : 28 novembre à 19h30 et 1er décembre à 14h00. (gratuit sur réservation).


AVANT-SCÈNE : 23 novembre à 19h « Milo Rau : le réalisme comme éthique », par Emmanuel Béhague, Professeur de civilisation et d’histoire culturelle des pays de langue allemande, Université́ de Strasbourg (entrée libre)


RESISTANCE-NOW! TOUR : 30 novembre à 18h30,

avec Milo Rau, metteur en scène, directeur des Wiener Festwochen, Vienne

Matej Drlička, musicien, ancien directeur du Théâtre national slovaque, Bratislava

Emmanuel Droit, Professeur des Universités, Directeur-adjoint de Sciences Po Strasbourg

Joris Mathieu, metteur en scène, directeur du Théâtre Nouvelle Génération, CDN de Lyon

Modération : Emmanuel Béhague, professeur des Universités, Strasbourg


BORD PLATEAU avec l’équipe d’Antigone in the Amazon, 22 novembre, à l’issue de la représentation 




Notes

(1) Milo Rau, Vers un réalisme global, trad. par Sophie Andrée Fusek, Paris, L’Arche, 2021, p. 177-178.

(2) Ibid., p. 22-23.

 


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