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Francesca Albanese : « Une libération des préjugés » (Quand le monde dort)

  • Photo du rédacteur: Christiane Chaulet Achour
    Christiane Chaulet Achour
  • 3 nov.
  • 14 min de lecture

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« Il faut nous dépouiller, un préjugé à la fois, de tous les fardeaux que chacun de nous porte, pour aller chaque jour un peu plus à la rencontre de la vérité » (p. 147)



Il est des livres plus essentiels que d’autres au moment où se joue – et depuis longtemps déjà – dans un coin du monde, en l’occurrence Palestine/Israël, l’avenir de  « l’humanité » de notre  humanité : ce livre est celui de Francesca Albanese dont on sait qu’elle fut pressentie pour le Nobel de la paix, dans la lignée déjà lointaine de Pérez Esquivel (1980), Desmond Tutu (1984), Wole Soyinka (1086), pour ne nommer que ceux-là. Mes impressions de lecture que je vais consigner ici ne peuvent donner la richesse de l’ouvrage qui demande une lecture personnelle de chacun.e d’entre nous car l’autrice interpelle et appelle avec force pour nous pousser à confronter nos conforts et nos monstres cachés. Elle nous exhorte à prendre modèle sur les Palestiniens en mettant en avant trois motifs essentiels : la dignité malgré la souffrance ; la beauté, malgré le désastre et la vérité, malgré l’emprisonnement. 


Un duo, elle-même et sa traductrice, Simonetta  Greggio, est présenté en ouverture. L’incompréhension pour elle – qui explique en partie l’écriture de ce livre – est l’indifférence face à l’élimination qui se déroule sous les yeux du monde ; et, comme elle l’a déclaré lors de son intervention devant l’Assemblée Générale des Nations Unies, le 30-10-2024, l’absence d’empathie pour les Palestiniens.


Dans une introduction dense et sous l’exergue emprunté à la rabbine étatsunienne, Alissa Wise, « La solidarité est une forme politique de l’amour », elle parcourt sa vie en lien avec le Moyen-Orient. Elle précise que le livre est écrit au moment où les Etats-Unis ont pris une sanction contre elle, le 9 juillet 2025, en ajoutant son nom à la liste des « ressortissants spécialement désignés ». Elle récuse l’accusation d’antisémitisme qu’on lui oppose alors qu’elle dénonce, en juriste du droit international, les violations des droits de la personne commises contre les Palestiniens. Précisons qu’elle a été nommée en mai 2022, « Rapporteuse spéciale des Nations Unies sur les territoires palestiniens occupés ». Elle est la 8ème à occuper ce poste et la première femme. Pour elle, l’accusation d’antisémitisme est à la fois fausse et grave en ce qu’elle dessert les communautés juives à travers le monde.


Dès l’adolescence, dans le contexte de la violence mafieuse, elle a ressenti un « rejet viscéral de l’injustice ». Etudiante en droit, elle s’est passionnée pour la défense « des personnes privées de leurs droits » et s’est spécialisée en droit international. Grâce à une bourse onusienne, elle a passé deux années au Maroc puis a soutenu son doctorat à Londres. Sa rencontre avec les ouvrages d’Edward Saïd a été une de ses rencontres déterminantes :


« L’Orientalisme et ses autres ouvrages m’ont offert une langue et un cadre pour comprendre la politique de la représentation, la construction de "l’Autre" et les distorsions profondément ancrées dans les récits autocentrés. Ces idées n’étaient pas toujours confortables, mais elles exerçaient une force irrésistible en dévoilant le monde tel qu’il est ».


Il y a eu aussi l’influence de la lecture de Gramsci, « la culture soutient le pouvoir ». Elle a ressenti la nécessité de remettre en cause les récits que le pouvoir met en circulation. Elle a été quatre années au Haut Commissariat des Nations Unies dans le monde arabe et l’Asie du Sud Est. Puis, elle s’est installée en Palestine, au sein de l’UNRWA (Agence de l’ONU dédiée aux réfugiés palestiniens, créée en 1949 après la Nakba) : « je réalisais un rêve que je  portais depuis longtemps ». Elle est alors mise face à ses contradictions : « juriste onusienne dans la ville occupée de Jérusalem, je me débattais chaque jour avec la dissonance entre les principes du droit international – égalité, justice, dignité – et la réalité brutale des rapports de force. (…) Cette contradiction m’a finalement poussée à quitter l’ONU, tout en poursuivant mes recherches de manière indépendante ». Elle s’est installée alors à Washington avec son mari pendant quatre ans et a eu une fille. Puis les bombardements sur Gaza en 2012 et 2014 ont fait revenir un sentiment de culpabilité et un retour vers la Palestine. Elle part en Indonésie, a un second enfant et, en 2020, édite son premier livre sur les Palestiniens en le centrant sur l’exil et l’arrachement. Et en 2022, elle est nommée aux Nations Unies, comme nous l’avons noté précédemment.


Reprenant une expression d’Edward Saïd, elle se veut le « témoin véridique » : «  Pour moi, l’impartialité ne signifie pas l’indifférence : elle implique d’enquêter avec rigueur, de confronter les faits au droit, et de dire la vérité au pouvoir, même lorsqu’elle dérange. En Palestine, cela revient à dévoiler l’asymétrie profonde entre occupant et occupé, colonisateur et colonisé, et à montrer comment des décennies de dépossession ont fini par être normalisées par une communauté internationale trop souvent impuissante ». Elle affirme que le changement ne pourra advenir que par la solidarité de tous. Elle liste toutes les infractions d’Israël au droit international : son mandat concerne la bande de Gaza, la Cisjordanie et Jérusalem Est. Elle souligne la difficulté qu’ont eue les Palestiniens à faire admettre le régime d’apartheid dans lequel ils vivent (dépossession, privation, assujettissement). Elle a examiné parfois les violations commises par le Hamas et par les autorités en place mais cela ne fait pas partie de son mandat. Le droit d’exister exclut des crimes contre les civils qu’elle combat absolument comme elle combat « la culture de l’impunité » dont bénéficie l’Etat israélien : « effacer la présence palestinienne vivante en Palestine, afin de laisser place à un projet sionistes de "Grand Israël" ». Elle revient sur les échecs des accords d’Oslo, « un cheval de Troie, permettant le contrôle et le pillage de la société palestinienne ».

Pour elle désormais, la priorité est « le respect des obligations internationales et non la définition abstraite de ce que devrait être la paix. Mettre fin à l’occupation, stopper la colonisation et bloquer toute annexion : telles sont les exigences inscrites dans le droit international ».


Elle termine ce parcours par la présentation des dix personnes dont le récit et les actions composent les dix chapitres suivants. Elle réaffirme qu’à certaines conditions, la paix au Moyen-Orient est possible : « je crois profondément en la possibilité de nous retrouver, ensemble, comme une famille humaine, en redécouvrant le sens vrai et profond de la solidarité. (…) Et ainsi, comme un seul corps, nous devrions pouvoir nous unir, nous rencontrer et résister ». Elle espère que son livre, qui a rencontré un grand succès en Italie, poursuivra, grâce aux traductions « sa capacité à susciter un élan collectif en faveur de la justice », par un effet papillon. « Lorsque le monde s’endort, c’est à nous, peuples, de le réveiller ».


La première lecture que l’on fait de cet ouvrage suit l’ordre voulu par l’autrice. Pour ma part, j’en suivrai un autre dans ma présentation. Tout d’abord le dixième « personnage » : « Max, mon compagnon de route » peut être lu après la présentation du parcours de l’autrice car tout ce qui est raconté complète bien, par un éclairage adjacent, ce chemin vers la Palestine.


Je regrouperai ensuite les récits en deux ensembles. Mais auparavant, je commencerai par le huitième, celui de Malak Maatar, « Où est le chez soi d’une personne réfugiée ? » accompagné d’une citation d’Edward Saïd en exergue de ses Mémoires, Á Contre-Voie :


« Quand je voyage, j’emporte toujours trop de choses (…). En y réfléchissant, j’en suis venu à la conclusion que j’ai une peur secrète mais tenace, de ne pas revenir ».


Précisons, avant de donner quelques éléments de ce chapitre, la façon de procéder de Francesca Albanese. Elle commence par l’annonce que je viens de donner : le nom d’une personne, une question qui synthétise le sujet principal abordé et une citation (c’est très varié) en exergue. Le récit concernant la personne choisie ne vient pas immédiatement : il sera donné dans un ensemble où se mêlent la rencontre, des souvenirs personnels de la narratrice, ses informations et réflexions de juriste et parfois d’autres récits ou anecdotes convergeant avec le récit principal. Cela donne une narration alerte qui établit une distance avec le trop émotionnel pour obliger à la réflexion et à la prise de conscience de l’étendue de la question palestinienne.


Parler d’abord de Malak Maatar se justifie puisque c’est une de ses œuvres picturales qui attire notre regard dès la couverture, « You and I ». Le thème étant celui des réfugiés, l’autrice commence par un récit de ce que fut la Nakba, l’exode forcé : un « épisode » fondateur pour les Palestiniens que les Israéliens veulent effacer. Une fois l’Histoire rappelée, l’autrice se souvient de sa première rencontre avec cette élève de sixième en 2010 lorsqu’elle visitait une  école dans la bande de Gaza et qu’elle avait remarqué un de ses dessins. Ce n’est qu’en octobre 2023 qu’elle a pu mettre sur l’affiche d’une conférence à Londres en mémoire d’E. Saïd, un dessin de Malak avec laquelle elle avait repris contact. Elle ne la revoit qu’à la fin de l’année 2024 et en mars 2025 à Londres. C’est à ce moment-là qu’elle entend toute l’histoire de sa famille, de la Nakba à Gaza : « C’est une chose qui m’a toujours frappée chez les Palestiniens. Même sous une dictature militaire, même sous un véritable état de siège, celui que Gaza subit pleinement depuis 2007, doublé d’un blocus miliaire (et pas que), même sous  l’occupation qui les plonge dans des conditions de vie extrêmement dures, les Palestiniens ont réussi à préserver cette force, cet amour de la vie qui transparaît dans chaque mot et chaque respiration dont Malak m’a parlé, et que j’ai vu chez tellement de personnes. Ils ne se sont jamais laissé écraser, et cela change tout, car lorsqu’on se bat de toutes ses forces pour mener une vie juste et digne, personne ne peut interférer ou décider à votre place. Je suis d’autant plus émue de voir l’œuvre de Malak figurer en couverture de ce livre ». On comprend alors pourquoi l’art de Malak doit être de témoignage sans sacrifier la recherche esthétique. Comme le lui a dit son père : « Tu es une artiste, donc, tu es notre voix ».


« Voix palestiniennes à l’intérieur du pays » : c’est le premier regroupement de trois récits auxquels on peu adjoindre celui de Malak Maatar.


  « Hind - Qu’est-ce que l’enfance en Palestine ? ». A partir de la mort violente de Hind Rajab (6 ans) fin janvier 2024, à Gaza, dans une voiture fuyant après le énième ordre d’évacuation, la voiture est mitraillée : « douze jours plus tard, on retrouvera son corps dans cette même voiture criblée de plus de trois cents impacts de balles, non loin de l’ambulance avec les cadavres des deux secouristes qui étaient venus pour la sauver. Ils ont été abattus avant d’avoir pu la rejoindre ».

Francesca Albanese poursuit en donnant des chiffres accablants et en intercalant des séquences vécues quand elle habitait Jérusalem et d’autres enregistrées plus tard quand elle a fait son enquête. Tout au long, un leitmotiv : « Voilà ce qu’est l’enfance en Palestine »…

Elle commente ce qui s’inscrit durablement, les traumatismes insurmontables chez ces enfants. S’ils lui ont donné l’impression souvent d’être « des petits avocats », c’est qu’ils ont intériorisé dans leur chair ce que doivent être les droits de la personne. Ils portent « sur leurs épaules le poids écrasant de cette revendication ». Dans leur quotidien, ils affrontent la peur, l’oppression, la prison. Elle fait souvent la comparaison avec la vie de ses propres enfants. « Comme me l’a dit Ouadia, quatorze ans : « Avoir peur de mourir ne t’empêche pas de mourir. Ça t’empêche de vivre ».


Abu Hassan est un guide palestinien à Jérusalem, devenu l’ami du couple : « Quelles sont les conséquences de l’occupation ? » L’autrice rappelle son arrivée à Jérusalem en 2010. Max et elle arrivent un peu armés car ils ont lu, en particulier, Comment le peuple juif fut inventé par Shlomo Sand (2008). Abu Hassan a toutes les qualités pour être guide de cette ville et la première d’être un hiérosolymite. Francesca Albanese en profite pour donner les quatre catégories de Palestiniens et les deux zones de la ville. Elle décrit la violence au quotidien à partir de faits précis. Elle navigue entre hier et aujourd’hui. Ils visitent aussi Hébron, Naplouse. Ils  goûtent aux mets et, en particulier, le knafeh. Elle parle des camps de réfugiés de Balata et de Jénine. Elle évoque l’histoire de la résistance armée palestinienne puis la répression, les destructions, les bombardements :

« Abu Hassan ne m’a pas seulement montré les colonies en Cisjordanie ; il m’a aussi guidée dans Jérusalem, m’a aidée à comprendre quels produits venaient des colonies et lesquels venaient de l’extérieur, ce qu’il était juste d’acheter dans les supermarchés pour soutenir les Palestiniens et ce qu’il valait mieux éviter ».

Le sujet qui revient dans les échanges est celui de la détention, la carcéralité avec tous les mécanismes de contrôle physiques, bureaucratiques et numériques. Elle conclue par une citation de Bertolt Brecht : 

« Le fleuve qui emporte tout, on dit qu’il est violent

Mais personne ne dit à quel point sont violentes

Les rives qui l’enserrent »


George «  Qu’est-ce que signifie de vivre à Jérusalem ? ». Le récit commence par l’appréhension que l’autrice a de la ville où elle ressent plus de religiosité que de spiritualité. Une ville fracturée par la Route 1 symbolisant, depuis 1948, la séparation : les Arabes à l’Est et les Juifs à l’Ouest. Cette fois, le rappel historique porte sur le plan de partage de l’ONU refusé par les Palestiniens et les pays arabes. Les mises au point historiques sont toujours bien factuelles et claires. Le projet était de faire de Jérusalem une ville sous administration internationale mais il ne s’est jamais réalisé.

C’est son mari, Max, qui a rencontré George à la librairie Educational Bookshop. George est un ingénieur palestinien de Jérusalem qui est revenu des Etats-Unis au début des années 2000 pour participer à un Etat libre de Palestine. Mais il ne peut travailler ni avec les ONG occidentales qui exigent qu’on ne parle ni d’occupation, ni d’apartheid ; ni avec les Israéliens qui manifestent à tout moment leur complexe de supériorité vis-à-vis des Palestiniens : « Pour un Palestinien, vivre à Jérusalem, c’est se heurter chaque jour à la subalternité structurelle imposée par Israël ».

Elle développe cela ensuite par des exemples concrets. Les appellations masquent la réalité socio-politique quand on parle d’arabes et de juifs et non de Palestiniens et d’Israéliens. George est un Palestinien chrétien et Ibrahim son ami est un Palestinien musulman, membre de la famille Husseini (point historique sur cette famille) : « George et Ibrahim n’étaient pas des guides mais marcher avec eux, c’était découvrir la vieille ville avec un regard neuf ».

On va de café en café, de rencontres en rencontres. Les quartiers chics, Talbiya et Baka, les maisons palestiniennes appartiennent désormais à des familles israéliennes : « L’appropriation culturelle, visible jusque dans les menus où coexistent houmous, baba ganouch, falafel, huile d’olive et zaatar… mais aussi soupe de betterave et chou braisé. Une cuisine fusion israélo-palestinienne aurait pu représenter une carte alléchante si elle n’avait pas pour arrière-goût celui de l’apartheid, si Israël n’était pas aussi l’Etat qui s’acharne à effacer l’identité palestinienne tout en la stigmatisant. Une cuisine sous occupation ne peut pas incarner quelconque fusion. Elle serait plutôt le signe de la normalisation d’une épuration sous forme de vol culturel ».

Quelles sont les conséquences des frontières au sein d’une même ville ? Et la question délicate que pose toute colonie de peuplement « Qui sont les véritables autochtones de cette terre ? » Ici aussi une mise au point très intéressante. Est évoquée aussi l’action de Ateret Cohanim (organisation israélienne œuvrant à la judaïsation de Jérusalem Est).

« Jérusalem  m’a toujours transmis un sentiment de mélancolie (…) C’est une ville vibrante de vie et, en même temps, c’est comme si on lui avait arraché quelque chose qui ne reviendra pas ». Démolition, transformation, disparition la caractérisent.


« Les témoins véridiques » est mon second regroupement de cinq récits.


Les personnes convoquées, pour œuvrer à une solution au Moyen-Orient qui rééquilibre les peuples en présence, ont tous écrits des ouvrages ou prononcé des conférences que Francesca Albanese cite et dont elle s’est inspirée. Chacun est l’occasion d’une mise au  point sur les mots interdits, stigmatisés, non prononcés ou euphémisés par des substituts.


« Alon, "comment reconnaître une personne antisémite ?"», professeur italo-israélien, historien, enseignant aux Etats-Unis. Il a informé l’autrice de ses recherches sur différents génocides et des rapprochements que l’on peut faire : C. Colomb et le devenir des Amériques du Sud et du Nord. Le rôle des westerns pour la narration de l’histoire des Etats-Unis. Il conteste aussi fermement la confusion entre antisémitisme et antisionisme. Cette confusion a pour but de « faire taire des critiques pourtant fondées et légitimes envers Israël et le sionisme ».

Dans le sillage d’Alon Confino, d’autres intellectuels juifs, israéliens, britanniques, américains sont cités. Conjointement, il remet en cause  Israël comme colonie de peuplement aux mêmes motivations que d’autres exemples de colonies de peuplement  car « le peuple juif a un lien profond à cette terre, avec Jérusalem en particulier ». Ce lien ne peut être nié et on doit en tenir compte. Alon est décédé le 27 juin 2024.


« Ingrid, "comment fait-on tomber l’apartheid ?" ». Il s’agit d’Ingrid Jaradat Gassner, néerlandaise, vivant depuis longtemps à Beït Jala, près de Bethléem en Cisjordanie occupée. Avec son mari, Mohammed Jaradat, elle  a fondé un centre de recherche. Elle est aussi à l’origine du mouvement BDS (Boycott, Désinvestissement, Sanctions) en 2005 pour obliger Israël à se conformer au droit international. Ce mouvement s’est inspiré des luttes en Afrique du Sud. C’est elle qui a développé le discours sur l’apartheid de manière décisive pour la Palestine. Elle a été suivie par des ONG israéliennes puis par Human Rights Watch et par Amnesty international. Le récit évoque la personnalité d’Ingrid et son rayonnement. Elle a été une provocatrice de lucidité. Elle a eu un soutien inconditionnel pour ce peuple opprimé : tout faire pour que la Palestine ne s’efface pas. Sur sa tombe ces mots ont été gravés : « Nous te promettons de sourire chaque fois que nous le pourrons, comme tu le faisais ; d’avancer à tout prix, en luttant, en réfléchissant, en défendant l’espoir malgré la douleur, en tombant, en nous relevant, en changeant de chemin, en reprenant la lutte, et enfin en obtenant notre libération ».


« Ghassan, "Jusqu’où peut aller la cruauté d’un génocide ?" ». Il s’agit de Ghassam Abu-Sittah, chirurgien, né au Koweitt dans une famille palestinienne. Il a opéré à Gaza tant que c’était possible. Quand il a pu en sortir, il a donné des entretiens, des conférences : « Quand je suis sorti de Gaza en novembre 2023 et que je suis arrivé au Royaume-Uni j’ai compris que le projet génocidaire était comme un iceberg. Israël n’en est que la partie visible mais le reste – qu’on ne voit pas aussi clairement depuis Gaza –, c’est tout l’appareil qui rend le génocide possible : la BBC, la CNN, le Washington Post, le Wall Sreet Journal et toutes les organisations qui le soutiennent ». En mars 2024, il a été élu comme recteur de l’université de Glasgow. Il  est actuellement interdit d’entrée dans différents pays européens. C’est un acteur de terrain qui témoigne des amputations et opérations, des sévices, arrestations et tortures.


« Eyal, "Comment  mesurer la destruction d’un peuple ?" » Eyal Weizman est un architecte israélo-britannique et l’auteur de Hollow land (2007). Il montre dans l’histoire de l’occupation israélienne (de 1967 à 2007) des éléments spécifiquement géographiques ; toutes les mesures prises pour occuper un sol horizontalement et verticalement. Ils se sont rencontrés lui sur « le prisme de l’espace » et elle sur « le prisme du droit ». Eyal Weizman écrit : pour les Palestiniens « la maison est quelque chose qu’on quitte, pas un endroit où l’on reste ». Il a élaboré « une sorte de modèle archétypal d’élimination de l’autre ». Il refuse de retourner dans son pays tant qu’il ne pourra avoir un passeport palestinien.


« Gabor, "Pourquoi est-il si important de préserver la mémoire d‘un peuple ?" ». Gabor Maté est médecin et psychothérapeute canadien d’origine hongroise. En tant que juif, il estime que sa religion est instrumentalisée « au nom d’un ethnonationalisme reposant sur une idéologie discriminatoire ». Un traumatisme « modifie la perception du monde ». Pour en guérir, il faut développer conscience et compassion. L’acte essentiel est de préserver la mémoire. Il a publié en 2025, Le mythe de la normalité : le traumatisme, la maladie et la guérison dans une culture toxique. Rappel par Francesca Albanes de sa rencontre à l’université de Toronto avec des représentants des communautés autochtones qui l’a beaucoup impressionnée dans leurs interventions et la manière d’aborder une colonie de peuplement. Elle termine ce récit sur des poèmes du poète palestinien, Refaat Alareer, tué à Gaza, le 6 décembre 2023.



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Au terme de cette lecture plus indicative qu’exhaustive, on mesure la richesse de cet ouvrage. Equilibrant les témoignages du dedans et ceux du dehors, donnant la parole à des « résidents » et à des intellectuels de haut niveau travaillant à comprendre et à diagnostiquer la situation, posant des actes et lançant des alertes, on se sent impuissant et, en même temps, riche de connaissances et d’éclaircissements sur ces notions tabous que sont antisémitisme, apartheid, génocide et sur des vécus et des combats peu connus qui donnent vie à ce conflit et solutions possibles pour l’avenir.


Janie Gosselin dans La Presse de Montréal rappelle que Francesca Albanese est « une figure controversée » qui n’hésite pas à utiliser et expliquer les mots interdits du vocabulaire occidental officiel. Elle rappelle que « le chef de la diplomatie américaine, Marco Rubio, a justifié la décision prise à son encontre, en l’accusant de mener une "campagne de guerre politique et économique" contre les États-Unis et Israël, et de faire preuve d’"antisémitisme décomplexé".

Dans son ouvrage, elle répond à ces accusations et précise : « Mon travail, après des années d’étude de la question palestinienne, m’a permis de voir et de comprendre plus clairement le système dans lequel nous vivons. » Elle ajoute : « L’histoire de la Palestine illustre cruellement comment les pratiques internationales peuvent perpétuer l’injustice, même en présence d’un corpus juridique solide.»


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Francesca Albanese, Quand le monde dort - Récits, voix et blessures de la Palestine, traduit de l'italien par Simonetta Greggio, Montréal, Mémoire d’encrier, novembre 2025, 248 pages, 20 euros




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