Joe Dassin, le chant d’Orphée
- Benoit Gautier

- il y a 2 jours
- 3 min de lecture

Et je me souviens, je me souviens des marées hautes
Du soleil et du bonheur qui passaient sur la mer
Il y a une éternité, un siècle, il y a un an.
Toto Cutugno, Vito Pallavicini/Claude Lemesle, Pierre Delanoë
Dans la seconde moitié du XXe siècle, la télévision envahit en masse les maisons et la contamination des images fait son œuvre dans nos quotidiens, nos souvenirs. Aujourd’hui, l’écran devenu minuscule s’infiltre partout, vampirise nos cellules, pille notre âme.
Les chanteurs de variétés originaires du monde entier s’invitaient jadis à déjeuner chez les Français dès Midi Première avec Danièle Gilbert, puis à dîner avec Guy Lux, les Carpentier et Jacques Chancel l’intello. Parmi eux, un Américain au prénom de western qui sifflait sur la colline, roulait dans Paris à vélo, dépassait les autos avec Marie-Jeanne et les Dalton, se baladait sur les Champs-Élysées où « Au soleil, sous la pluie/À midi ou à minuit/Il y a tout ce que vous voulez ». Hymne cocorico repris à l’international.
Et si, en plein baby-boom, le chanteur de charme avait traversé le petit écran comme un héros de La Rose pourpre du Caire ? Et si, le temps d'un 45 tours, d’un fantasme lilliputien, Joe Dassin devenait Orphée en tuxedo blanc, Gulliver des désirs naissants ? Et si son corps se faisait territoire d’aventure pop culture ?...
Trip initiatique qui rend hommage au fils du cinéaste Jules Dassin, beau-fils de Melina Mercouri. En 1980, il y a 45 ans, son cœur saturé de hit-parades et d’Olympia, lâche sous le soleil de Tahiti. Été presque indien pour le crooner et son slow aux 32 millions de streams qui fête, lui, ses 50 ans. Il y a un demi-siècle, une éternité.

Hey Joe, te souviens-tu du film de Woody Allen La Rose pourpre du Caire ?… Les personnages traversent la toile et le cinéma envahit la vie. Telle ta voix chaude de baryton qui imbibait le petit écran de mes rêves mouillés. Ta peau épaisse, le crin de ton brushing et de tes rouflaquettes, le bleu de ton strabisme, l’ourlet de tes lèvres, tout ton visage aspergé par mes cartes de France !
Toi, le géant yankee aux épaules d’athlète, à la bosse dessinée dans l’entrejambe, bâton de belle taille moulé par le grain de poudre de tes smokings blancs, tu m’as tendu la main, moi, le Lilliputien enseveli sous des milliers de fans. Tu entonnais le dernier refrain de L’été indien, quand soudain ton bras s’est élancé dans ma direction, a percé en douceur la vitre cathodique, pénétré mon cadre de vie. Gulliver crooner, tu m’as pointé du doigt, je m’y suis accroché, et tu m’as fait entrer dans ton monde de paillettes. Tu as refermé ton poing sous les applaudissements, manqué de m’écraser. J’ai rampé sous le poignet de ta chemise en satin. Tu as levé le bras en guise de remerciements, m’as propulsé direct au creux de ton aisselle. Région humide où la transpiration et le déodorant en bombe rivalisaient de gaillardise.
Tu t’es penché pour saluer la foule en délire, et m’as éjecté sur ton torse. Ah, ces milliers de poils qui s’offraient à moi ! Grosses lianes frisées électrisées par les battements de ton cœur. Je m’y laissais glisser, m’y rattrapais, m’amusais à les lustrer, à les raidir. Tu t’es relevé d’un coup, m’as déséquilibré. Je me suis agrippé à ton mamelon gauche qui s’est raffermi pour me faire un coussin ni trop mou ni trop dur. J’allais m’assoupir quand tu t’es élancé sur le devant de la scène, les mains plaquées sur ton ceinturon de play-boy. J’ai rebondi dans la grotte de ton nombril avant de dégringoler dans l’échancrure de ton fut’, d’atterrir dans la forêt de ton pubis. Tu ne portais pas de sous-vêtement, d’où cette bosse qui me faisait signe depuis tant de chansons !
Pour la première fois, je communiquais avec un pénis. Comme au cinéma ou à la télévision : en gros plan. Je l’ai arpenté en long, en large, me suis lové dans ses moindres replis. Je l’ai humé, tâté, léché, dévoré. J’ai dérapé mort de rire sur les parois de ton gland, puis ai décidé de m’installer à son sommet, aux abords du fameux cratère où le lait anisé coule à flots, car c’est toi Joe qui m’a formé le goût, m’a ouvert l’appétit. Toi, le colosse du music-hall. Moi, l’affamé de Lilliput.
Nouvelle publiée sous le titre Le bâton du baryton – Prix du jury concours À rougir de plaisir – Short Édition, 2016.
L’été indien – Olympia (1977)
Trailer La Rose pourpre du Caire (1985)
Trailer Orphée (1950)






