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Olivier Adam : « Je me sentais comme une coquille vide, une enveloppe dénudée de substance. Il m’a bien fallu inventer quelque chose. C’est tout » (Et toute la vie devant nous)

  • Photo du rédacteur: Cécile Vallée
    Cécile Vallée
  • il y a 3 jours
  • 6 min de lecture

Olivier Adam par Jean-Philippe Baltel © Flammarion
Olivier Adam par Jean-Philippe Baltel © Flammarion

Depuis Je vais bien ne t’en fais publié en 2000, Olivier Adam participe à un rythme soutenu à la rentrée littéraire. Et toute la vie devant nous est son dix-huitième roman. Il y propose une intrigue qui mêle ses thématiques et ses personnages récurrents au récit de son parcours littéraire qu’il interroge avec acuité.



« Voilà. C’est la première fois que nous nous sommes parlé tous les deux. Il y a maintenant quarante ans. Et déjà, Alex était là, entre nous. Ou avec nous. Dès le premier jour. »


Un « je » s’adresse à un « tu » qui lui a demandé d’aller revoir l’allée des Sycomores pour « retourner là où tout a commencé ». Le roman commence donc dans cette allée des Sycomores d’un lotissement de banlieue parisienne dans laquelle a lieu la rencontre de trois enfants, en 1985. Il raconte l’histoire de l’amitié compliquée de ce trio composé des deux narrateurs, Sarah et Paul, et d’Alex. Si la mort du petit frère de ce dernier, dont ils se sentent responsables, scelle et affecte cette amitié, les relations de ces « inséparables » se nouent et se dénouent également, au fil des années, à la frontière poreuse du triangle amoureux. 

Le roman se structure autour des années-étapes de leur vie en alternant les deux voix, dans une organisation subtile pour maintenir la tension narrative mais aussi pour croiser les points de vue féminin et masculin, en variant la modalité discursive. Selon les chapitres, le destinataire est présent ou absent, le « je » prend ou pas en compte le « tu ». Le récit peut se faire en suivant l’ordre chronologique de l’événement marquant mais aussi à travers la succession des photos que l’un montre à l’autre sans que le lecteur puisse situer le cadre spatio-temporel de ce récit. 

Dans un entretien accordé au Monde en 2014, Olivier Adam a expliqué qu’il affectionnait les personnages récurrents pour les mettre en scène dans des situations et des rôles différents. Les Paul sont ses doubles, dans ce roman, Paul est écrivain.



« Pour moi ce n’est qu’une bande-son accompagnant la vie elle-même mais on dirait que pour toi c’est le contraire. On dirait que la vie n’est qu’un accompagnement. »


Au moment où elle le quitte, la femme de Paul, fait ce constat doux-amer de de la place qu’occupe la littérature dans la vie de son mari, ce qu’il confirme à travers ce voyage dans le temps. Il y interroge également ce qui caractérise son écriture, l’autofiction d’un transfuge de classe et la représentation de ce que l’auteur nomme la « France majoritaire ».

Sa découverte de la lecture est liée à son amour pour Sarah : « Je crois que c’est l’une des premières choses que j’ai commencé à faire pour te plaire et que j’ai fini par adopter jusqu’à ce qu’elles me constituent ». C’est lorsque sa professeure de français annonce qu’elle va téléphoner à Jaccottet afin d’élucider l’interprétation d’un poème qu’il prend conscience que la littérature est vivante. Enfin, il trouve l’autorisation d’écrire sur « la vie et les gens qu[‘il] connai[t] », « la majorité dont la littérature française d’alors [lui] semblait faire si peu de cas, quand elle ne se contentait pas de la mépriser en la caricaturant », grâce à Martin Eden de London et l’œuvre de Roger Carver que lui fait découvrir son professeur de sociologie à Dauphine. 

Il explique son choix du genre de l’autofiction par son rapport au réel : « chez moi tout est toujours plus flou. Et tu me connais, ce que j’ai oublié, je le réinvente. Je bouche les trous. Je colmate. ». Il y utilise la fiction pour anticiper « ce qu’[il craint] de voir advenir dans la réalité », la mort de ses parents, de ses enfants, le divorce. L’auteur semble avoir conjuré une nouvelle hantise avec ce qui arrive à Paul dans ce roman.

Cette écriture entre le vrai et le faux agace et dérange ses proches. Son deuxième roman suscite sa rupture avec sa compagne qui interprète le roman comme une déclaration d’amour à Sarah. Dans le quatrième, ce sont ses parents qu’il heurte. Le commentaire de ses arguments de l’époque souligne qu’au moment du récit, Paul entend les reproches qui lui ont été faits :

« Ils n’avaient aucune raison de s’identifier aux personnages. Quand bien même une somme de détails pouvait les y inviter. C’était ainsi que j’écrivais la plupart de mes livres, en mêlant le vrai et le faux, en tordant les choses afin de passer du « je » au « nous », du particulier au collectif, je puisais dans le réel et en faisait de la fiction. Bref... ce genre de conneries ».

Sarah lui demande donc explicitement de ne jamais raconter ce qui lui est arrivé dans un livre. Inscrite à des cours au centre culturel de la ville, elle est abusée par son professeur de la cinquième au lycée. C’est une autre intervenante du centre qui les surprend et le dénonce sans qu’il soit pour autant inquiété. De plus, ses parents ne la soutiennent pas voire la culpabilisent, et le sujet est resté tabou même au sein du trio. C’est tout de même Paul qui prend majoritairement en charge ce récit comme pour démontrer ce qu’il fait des histoires qu’il emprunte à ses proches. Il montre ainsi la lente prise de conscience d’un homme mais aussi les conséquences bénéfiques de la vague #Meetoo, des ouvrages tel que celui de Vanessa Springora, et des déclarations comme celles de Judith Godrèche, permettant bien de passer de l’intime au collectif.



« La vie me paraissait à la fois si grande et si petite. L’horizon si vaste et si réduit. Mais je suppose que nous étions nombreux à vivre les choses ainsi à cet âge-là et dans ces endroits. Tu en as souvent parlé plus tard. Ce sentiment que nous avions d’être toujours à la périphérie. De l’être parfois de nous-mêmes. On naviguait à vue. »


Si Alex lui reproche, comme les autres, de se servir de leur histoire pour écrire ses romans, il attaque surtout Paul sur ce qu’il considère comme une complaisance et une trahison : sa posture de transfuge de classe. Il l’accuse d’être un « bobo parisien servile », qui soutient l’idéologie capitaliste : « qu’est-ce que je croyais, pourquoi permettaient-ils parfois à des types de mon genre de monter sur le grand manège, sinon pour donner le change, dire que vous voyez bien que tout le monde peut nous rejoindre, vous voyez bien que le mérite, ça existe, et l’ascenseur social, il est pas beau mon ascenseur social ? »

Il lui reproche de ne pas réagir aux expressions « France d’en bas » et « vies réduites et minuscules », utilisées par les médias quand ils évoquent ses romans, et d’exagérer cette posture de transfuge de classe, « comme s’il avait grandi dans une putain de cité. Comme s’il n’avait jamais été autre chose qu’un petit Blanc inconscient de ses privilèges » et dans le même temps de cracher sur cette « origine sociale et géographique » qu’il revendique. Alex fait ainsi écho à l’analyse qu’ont faite Laéla Véron et Karine Abiven du récit de transfuge de classe dans Trahir et venger :

« Finalement il sert la soupe au système qu’il prétend dénoncer. Il alimente le mensonge généralisé sur le mérite, l’ascenseur social, toutes ces foutaises. Il nie la force du déterminisme, de la reproduction, en montrant qu’on peut y échapper. »

La voix d’Alex dénonce également le milieu parisien dans lequel Paul semble évoluer sans problèmes, « tous ces fils et ces filles de bourges qui étalaient leurs références comme si ça faisait d’eux des gens supérieurs ». Il fustige les stéréotypes misérabilistes qu’ils manifestent dans leur intérêt pour le métier d’assistante sociale de Sarah et leur mépris pour ceux qui la vie de ceux qui s’en sortent dans la banlieue pavillonnaire : « c’est ça qu’ils appellent être de gauche. L’art et la misère. Rien n’existe entre les deux ». 

Le personnage d’Alex permet ainsi à Olivier Adam d’indiquer qu’il est conscient des paradoxes et des biais du récit de transfuge. Pour autant, il ne renonce pas à la représentation de la « France majoritaire » et à l’idée qu’il peut passer de l’intime au collectif. Les parcours des trois personnages sont ainsi représentatifs de cette génération de la banlieue pavillonnaire de la fin des années 1970 qui profite du collège unique, a accès aux études plus facilement que ses aînés mais qui perçoit encore les frontières entre les classes sociales aussi bien sociologiquement que géographiquement. Edu

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quée entre le modèle patriarcal encore fréquent dans les foyers et la reconnaissance des inégalités de genre, elle peine encore à dépasser les stéréotypes. 

Ce genre de roman qui favorise l’intrigue et se targue de traiter des problèmes sociétaux en évitant finalement d’aborder les problèmes sociaux, comme le dit Alex des romans de Paul, est souvent jugé léger et facile, mais, d’une part, on ne peut que reconnaître le plaisir de lecture d’une intrigue efficace sans être attendue, d’autre part, cette radiographie de l’écrivain est intéressante et touchante. 




Olivier Adam, Et toute la vie devant nous, Flammarion, août 2025, 320 pages, 22 euros




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