Au Togo, la poésie emprisonnée
- Jean-Michel Devésa
- 28 avr.
- 3 min de lecture

J’ai appris hier, dimanche, qu’au Togo un militant et poète connu sous le nom d’Affectio (Honoré Sitsopé Sokpor, à l’état-civil) avait été arrêté le 12 janvier dernier par des policiers en civil, son interpellation violente ressemblant à un enlèvement. Il est depuis incarcéré, sa demande de libération ayant été rejetée le 26 février par la cour d’appel de Lomé. C’est en prison qu’il attend d’être convoqué au tribunal pour y être jugé. Son crime ? L’écriture d’un poème « Fais ta part » diffusé sur les réseaux sociaux. Les autorités lui reprochent évidemment ses critiques envers elles et estiment que, notamment, ce texte revêt un caractère séditieux.
Ce n’est pas la première fois que dans le monde on persécute un écrivain en prétextant la virulence de ses textes : en Afrique, le romancier Mongo Beti, par exemple, lequel a subi la répression conjuguée du colonialisme français et du gouvernement de son pays, a eu raison de soutenir dès les années 1950 qu’il était vain d’attendre de « la littérature » qu’elle fût « rose » quand il y allait du sort de tout un peuple.
Le Togo a été le théâtre malheureux du premier coup d’état militaire (le renversement et l’assassinat le 13 janvier 1963 de Sylvanus Olympio, le président élu) survenu en Afrique et le triste « laboratoire », sinon le modèle, de dictatures se perpétuant par successions dynastiques. Doit-on craindre que le pouvoir togolais ait aujourd’hui l’ambition de montrer à l’Afrique subsaharienne comment bâillonner la création ?
J’espère que personne n’aura la sottise de m’opposer que je défends le « privilège » pour les écrivains et les artistes d’échapper à la loi commune : partout, où les politiques s’attaquent à la littérature, à la poésie et aux arts, c’est en réalité à la liberté d’expression et de pensée qu’ils s’en prennent. Or, celle-ci ne consent à aucune restriction ni limitation, à Lomé comme partout ailleurs, sur l’ensemble de la planète : en effet, elle ne se négocie pas ni ne se troque contre des terres rares, des barils de pétrole, des contrats d’armement ou des mètres cubes de gaz naturel. Il convient par conséquent que l’opinion publique internationale se mobilise, et mêle sa voix à celle de l’opposition togolaise, afin de réclamer et d’obtenir la libération immédiate d’Affectio.
Voici le texte pour lequel Affectio est derrière les barreaux :
Fais ta part
Depuis cinquante-huit ans, l’ombre plane,
Un règne de père en fils, une histoire profane.
L’injustice a tissé son voile funeste,
Sur les cœurs brisés, sur les vies en reste.
Je n’ai pas besoin d’être aimé, ni consolé,
Je porte en moi un cri, un feu isolé.
Un cri contre l’arbitraire, l’oppression,
Contre cet État figé dans ses illusions.
Mon combat n’est pas pour la gloire ou l’éclat,
C’est pour la vérité, la justice, le droit.
Feu Monseigneur Barrigah a dit avec foi :
« Fais ta part », et moi, je marche dans cette voie.
Fais ta part, toi aussi, dresse-toi sans peur,
Dans ce long chemin semé de douleur.
Chaque mot, chaque geste, chaque action sincère,
Peut fissurer les murs de ce pouvoir austère.
Ils pensent qu’ils règnent pour l’éternité,
Mais l’histoire a prouvé que rien n’est figé.
Les chaînes qui nous enserrent finiront par céder,
Si chacun de nous ose enfin se lever.
Fais ta part, car le silence est une prison,
Un complice muet de l’oppression.
La liberté n’est pas donnée, elle se conquiert,
Par ceux qui refusent de plier sous l’éclair.
Alors, debout ! Que nos voix résonnent,
Que nos pas marchent vers une aube qui s’ordonne.
Togo, ton peuple rêve de jours plus clairs,
Et je ferai ma part, jusqu’à mon dernier vers.
Affectio (Honoré Sitsopé Sokpor)