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Nassera Tamer : “C’est par l’écriture que j’ai commencé à mettre un peu de sens dans la manière dont j’étais affectée par la langue de mes parents ”(Allô la Place)

  • Photo du rédacteur: Johan Faerber
    Johan Faerber
  • 5 sept.
  • 13 min de lecture

Nassera Tamer (c) Photo par Emma Marsantes
Nassera Tamer (c) Photo par Emma Marsantes

Avec Allô la place, son premier roman paru chez Verdier, Nassera Tamer signe l’un des plus beaux récits de cette rentrée. Avec une grande modestie et de prudence, Nassera Tamer évoque comment renouer lien avec sa mère, revenue au Maroc avec laquelle elle va chercher à communiquer par téléphone dans des téléboutiques parisiennes. A cette mère biologique s’ajoute Mer, une jeune maman avec laquelle la narratrice va refaire l’apprentissage de l’arabe. Au coeur de cette quête d’identité, ce qui frappe le plus c’est l’opacité, la poétique concertée de l’implicite et l’extrême pudeur de ce qui est raconté d’une conversation téléphonique l’autre. Un texte d’une rare puissance sensible sur lequel Collateral ne pouvait manquer d’interroger le temps d'un entretien celle qui nous avions déjà eue la joie d'accueillir comme chroniqueuse dans notre revue.

 

 



Ma première question voudrait porter sur la genèse de votre beau premier roman, Allô la Place qui vient de paraître chez Verdier dans la collection “Chaoid”. Comment vous est venu le désir d’écrire sur votre “réapprentissage de l’arabe” via l’application Tandem qui ouvre, plus largement, au récit des liens que vous tissez avec Mer, la jeune femme avec laquelle vous vous familiarisez de nouveau avec le Darija, cette “langue-chimère” ? Est-ce que d’emblée votre projet d’écriture avait mis en relation la question de renouer avec votre famille et en particulier votre mère via les échanges téléphoniques et les “téléboutiques” comme il est dit dans votre texte ? Enfin, est-ce que le choix de l’épigraphe de Jacques Derrida selon lequel “Le téléphone, c’est les fantômes” constitue pour vous une manière d’indiquer combien la tonalité majeure de votre récit sera celle de la spectralité ?  


En quittant le Havre pour Paris il y a 20 ans, j’ai commencé à écrire des textes courts, sans projet défini, sans intention précise. J’ai réalisé après coup que ces textes épars revenaient souvent sur les motifs de la langue maternelle et du taxiphone pour raconter l’éloignement que je vivais par rapport au milieu immigré et ouvrier dont je suis issue. C’est en écrivant que j’ai pu penser mon rapport à la langue de mes parents marocains - dont je sentais qu’elle m’affectait de plein de manières différentes - et plus largement comprendre ce que j’avais quitté et dans quoi je basculais.


Au moment d’écrire quelque chose de plus abouti, je me suis demandé comment structurer mon récit, lui donner une forme. Au détour d’une conversation, j’ai découvert l’application Tandem qui m’a beaucoup enthousiasmée : créer mon profil sur l’application, rencontrer Meriem (dont j’ai gardé le pseudonyme Mer), nos premières conversations ont opéré comme un déclic pour la marche à suivre. Tout semblait converger grâce à cette application : le lien à la langue, les communications téléphoniques, le rapport à la mère… J’ai donc continué à suivre ce fil du « réapprentissage de l’arabe » à distance et à l’enrichir au gré de son déroulement. Je n’avais pas du tout le projet de traiter la question familiale et j’y étais même assez réticente mais c’est venu par la force des choses. Écrire à partir de la langue de mes parents, du manque que cette langue recouvre et de son statut en France m’a amenée à évoquer, par bribes, certains aspects de mon histoire familiale marquée par la séparation. C’est la part latente du texte, elle n’est pas traitée frontalement mais on en perçoit la force agissante.      


Pour ce qui est de l’épigraphe, c’est par hasard que je suis tombée dessus sur Instagram. Dans le film Ghost Dance de Ken McMullen, Jacques Derrida parle à Pascale Ogier de psychanalyse et de cinéma quand il est interrompu par un appel téléphonique, c’est à ce moment qu’il prononce cette phrase. Cette survenue du plus ou moins lointain dans le présent grâce à ou à cause de nos téléphones m’intéressait beaucoup pour raconter comment une vie peut continuer à être hantée par des êtres et des lieux quittés depuis longtemps, éloignés. En un sens, cette fluidité que nous promettent les nouveaux moyens de communication - on pense à quelqu’un et aussitôt on lui envoie un message – peine à masquer l’incommunicabilité à laquelle nous sommes tous confrontés et nos empêchements à nous lier aux autres. 

Je pense que la spectralité travaille la narration de l’intérieur dans Allô la Place, de manière à faire ressentir les trouées du temps et de l’espace, tout ce qui est absent et qui pourtant nous agit constamment. Le récit est entrecoupé et utilise une matière thématique et stylistique qui peut paraître hétérogène et discontinue : des morceaux de souvenirs, de conversations, des anecdotes, de courtes observations à partir d’objets divers.




Pour en venir au coeur d’Allô la Place, l’essentiel de votre récit s’organise autour de la séparation physique de la narratrice d’avec sa mère à laquelle répond la distance affective qui s’est creusée dans cette relation filiale entre, d’une part, la fille qui vit en France et la mère qui, après avoir vécu au Havre, est retournée vivre au Maroc, à Casablanca. Le seul lien qu’elles peuvent désormais entretenir passera désormais par l’échange téléphonique si bien que votre roman va se placer sous le signe d’un patient réapprentissage de la relation mère-fille. Le premier temps de ce récit de réapprentissage en passe par la quête d’un lieu propice aux échanges, et plus concrètement la recherche d’un taxiphone comme zone de communication : vous évoquez ainsi un idéal, celui de la téléboutique : “un espace extraterritorial, diplomatique et délicat.” En quoi ce lieu, présenté presque comme un territoire neutre et décrit comme un espace démilitarisé, dit d’emblée la tension latente qui anime la relation avec la mère ?  


Le récit est alimenté par une préoccupation forte : comment rester en contact avec les personnes et le milieu dont on s’est éloigné et que faire du manque que cet éloignement provoque ? Cela me concerne mais cela concerne beaucoup de personnes à commencer par toutes celles contraintes de quitter leurs pays. Pour la comprendre et tenter d’y répondre, je prends cette préoccupation au pied de la lettre en m’interrogeant sur les mots, la langue, les moyens de communication, les circonstances qui seraient susceptibles d’effacer un tant soit peu la distance.


Cela explique en partie le rôle des taxiphones dans Allô la Place. C’est l’hypothèse ou le fantasme que ces lieux permettraient de réunir la très grande proximité et l’ultra globalisé, de renouer avec une langue perdue ou malmenée, de réparer des liens abîmés, de trouver sa place… C’est d’ailleurs le fonds de commerce de ces boutiques : la réparation, le déblocage. Je les ai étendus pour les appliquer non plus seulement aux appareils de téléphonie mais aux relations et notamment à la relation que la narratrice entretient avec sa mère.     

 



Ce qui forme la singularité d’Allô la Place, c’est combien ce récit de réapprentissage des liens filiaux lie, par la distance géographique, lie la figure de la mère à la question de l’espace, et cela de deux manières. A l’instar du titre du roman, la première consiste à faire de la mère une entité géosensible, un être indéfectiblement lié à un lieu, à la place d’où elle s’exprime comme lorsque la narratrice entend de sa mère “les petits pas qui résonnent sur le terrazzo de l’escalier qu’elle descend lentement”. La seconde manière consiste enfin à faire du téléphone non un élément de rapprochement mais la marque même de la distance voire “la trace sonore d’un exil”. En quoi la narratrice perçoit-elle que, paradoxalement, le téléphone accentue encore un peu plus la distance à la manière d’un accélérateur de sensible ? 


Le texte avance au gré des conversations téléphoniques plus ou moins manquées entre la narratrice et sa mère. Ces tentatives pour entrer en communication disent tout ce qui les sépare, la distance géographique, générationnelle, la langue, le mode de vie, les références culturelles mais aussi ce qui les relie à savoir l’amour mais un amour empêché en quelque sorte.


Plus largement, me pencher sur l’objet téléphone, ses mutations constantes de l’ancien appareil filaire au smartphone actuel, sa conception, sa réparabilité, ses fonctionnalités, les gestes qu’il induit, ce qu’il fait à la voix, à l’écoute, au langage, à nos vies, la charge métaphorique qu’il soutient… tout cela, traité sans hiérarchie, m’a permis, je crois, d’évoquer quelque chose de notre époque ultra-connectée, ultra-libérale, de nos modes de production mortifères, de l’immigration – le téléphone revêt une importance particulière pour les personnes qui émigrent - et de ce dont on hérite quand on est enfant d’immigrés en France au-delà de ma trajectoire personnelle.

 



En ce sens, ce qui ne manque pas de frapper à la lecture d’Allô la place c’est combien le récit s’élabore dans l’implicite, la mesure, de manière extrêmement feutrée - comme si le langage était déjà en trop. Allô la place est un récit de la grande pudeur : aucune véhémence, aucun caractère démonstratif : c’est un grand récit de la suggestion, de l’oblique, et de l’opaque. Pourquoi avez-vous précisément choisi de répondre à cette poétique de l’implicite qui ne manque pas de contrevenir pourtant à l’un de vos souhaits de poétique qui vous intime d’“écrire comme un scandale” ? En quoi écrire, dites-vous encore, “comme une cheffe... qui a du coffre” constitue finalement l’antiphrase sinon l’antithèse de votre grâce narrative ? Est-ce que finalement l’ensemble du récit n’est pas à l’image de la modestie du premier mot du titre, “allô”, à savoir le désir minimal et phatique de contact ?


Le texte s’est écrit largement comme cela. Ce mode d'énonciation en retenue s'est imposé pour raconter et rendre sensible l'histoire qui m'importait de raconter à savoir une histoire perçue comme marginale, une filiation fragile, des sentiments fugaces et ambigus. C’est la raison pour laquelle j’utilise des petites choses du quotidien comme mes déplacements dans la ville, des objets divers qui ont attiré mon attention, un film ou un livre, des micros événements que j’approche avec une écriture mesurée. J’ai accentué cette pente naturelle en me fixant également une contrainte en termes de taille pour chaque séquence qui compose le récit pour m’aider à écrire mais surtout pour éviter les débordements. Et, en effet, cela se retrouve dans le titre.


La manière feutrée ou oblique me semble un moyen d’explorer ce qui apparaît comme évident en multipliant les approches et les nuances et en évitant tout discours surplombant. Je crois que cela permet de déplacer plus profondément les perceptions et au final de dévoiler certaines réalités qui passent inaperçues. Pour autant, il y a aussi des choses très claires et très précises notamment sur la manière dont les immigrés sont considérés en France que j’aborde sans être indirecte ou évasive mais en étant plus acide, dans l’ironie ou en emmenant l’écriture sur d’autres terrains comme le jeu sur les mots, le travail sur les sons, les rythmes.


Je dirais que la modestie est une composante de la manière dont j’ai cherché à travailler la langue dans Allô la Place.

 



S’agissant d’écriture, l’une des questions majeures autour de laquelle Allô la Place organise son récit renvoie à l’évidence au réapprentissage par la narratrice de la langue arabe de ses parents : le darija, l’arabe marocain. Comment communiquer avec la mère si la fille ne parle pas la même langue ? Comment retrouver la langue maternelle ? Dans Allô la Place s’élabore une patiente et délicate poétique de la langue maternelle dont la narratrice se voit orpheline comme si elle était devenue allophone à elle-même. Ne manquent pas les remarques selon lesquelles elle déplore ne pas maîtriser cette langue “qui me perd” ou confier combien elle sombre “dans le trou noir de ma langue”. En quoi la langue constitue une trouée existentielle pour la narratrice qui s’appréhende doublement : à la fois comme une rupture insurmontable et comme un écartèlement qui la déterritorialise ? Est-ce ainsi qu’il faut saisir cette “identité frontalière” convoquée dans le récit ? 


Cette question est le principal moteur de l’écriture de Allô la Place, son point de départ et ce qui l’anime. Comme je l’indiquais avant, c’est par l’écriture que j’ai pu commencer à mettre un peu de sens dans la manière dont j’étais affectée par la langue de mes parents dans laquelle j’ai grandi mais qui ne fait plus partie de mon quotidien. 


J’ai cherché à tailler le plus de brèches possible dans cette langue : la charge émotionnelle qu’elle porte, sa familiarité ou son étrangeté pour moi, l’outil de communication qu’elle constitue, certains éléments de sa structure linguistique, ce qu’elle évoque, son statut en France, comment cette langue informe mon rapport au français… Pour cette exploration, je me suis beaucoup documenté mais j’ai aussi utilisé les moyens du bord : des réminiscences, mes contacts avec Mer, ce que je glanais sur les réseaux sociaux ou en me déplaçant dans la ville, les cours à l’Institut du Monde Arabe. Petit à petit, j’ai l’impression que cette langue devient plus tangible dans le texte, y inscrit sa marque.


Quand j’évoque une « identité frontalière », c’est pour dire la sensation d’être branchée sur plusieurs fréquences – langagière, sociale, culturelle – en même temps et d’être contrainte de m’ajuster constamment. 

 



Un des points les plus remarquables de cette poétique de l’oblique que développe Allô la Place consiste dans le personnage de Mer avec qui discute la narratrice pour retrouver la fluidité du darija. Si, à l’évidence, ce personnage de mère de famille constitue dès son prénom un substitut affectif et symbolique à la mère absente et muette, permettant de “compenser l’absence des miens” par “ma demi-langue", ce même personnage dépasse le double de la mère pour devenir, de manière plus trouble, une surface de projection pour la narratrice. “Et si Mer était celle que j’aurais été si j’étais née au Maroc ?” ou encore : “Mer me remet à ma place de double absente”. Ainsi, en quoi Mer crée-t-elle du trouble existentiel dans le récit de la relation filiale ? 


J’ai perçu tout de suite la chance que j’avais eu de rencontrer Mer et ce qui se nouait dans nos échanges en termes de fascination et de projection. L’important pour moi était de me garder de calquer mes désirs sur elle ou en tout cas d’en faire trop, d’être dans l’appropriation. 


Je dirais qu’au-delà de la pratique du darija et des enjeux d’ordre affectif, cette conversation sert également à questionner la narratrice dans son rapport au Maroc et à sa place en France. La question se pose pour la narratrice de la contingence de sa présence en France et de la dette contractée à l’égard de parents qui ont dû faire de nombreux sacrifices pour offrir à leurs enfants de meilleures chances. Le dialogue qui s’établit entre Mer et la narratrice est aussi une manière de démonter le discours hégémonique entretenu notamment par nos institutions et qui fait de la France et du français un horizon indépassable pour les pays anciennement colonisés. 


Dans cette relation avec Mer, je me suis également sentie rattrapée par l’hypocrisie d’un certain progressisme libéral occidental qui s’érige en exemple de démocratie et de libertés vis-à-vis de populations non-occidentales. En l’occurrence, je ne cautionne pas la politique du régime marocain ni ne fantasme la société marocaine mais je crois qu’en France, nous avons largement démontré que nous n’avions aucune leçon à donner en la matière. 


Au final, le personnage de Mer et les échanges presque anodins qu’elle entretient avec la narratrice permettent d’articuler des problématiques qui ne sont pas seulement personnelles. 

 



Ce qui ne manque pas de frapper dans Allô la Place c’est aussi le dispositif plastique qui sous forme de restitution des enseignes de taxiphones vient rythmer à intervalles réguliers le récit et le ponctuer quasiment graphiquement. Ce jeu esthétique ne semble précisément pas se limiter à une question purement formelle mais vient creuser, par le dispositif lui-même, la matérialité crue du politique. Téléphoner depuis les taxiphones c’est signifier sa condition d’exilé, d’émigrés. En quoi pour vous Allô la Place revêt, notamment par cet aspect, une indéniable dimension politique ? 


Ces pages proposent une autre forme de textualité, une « écriture sans écriture » et font partie intégrante du récit. Elles le ponctuent un peu comme les vitrines des taxiphones et les enseignes Lyca Mobile ou Lebara jalonnent la morphologie des villes. C’est la façon que j’ai trouvée pour signifier l’attraction que ces lieux exercent sur moi et le refus d’être dans l’enquête ethnologique intrusive, qui prétend à l’exhaustivité. Ce serait plutôt une topographie légère de mon quartier, une attention aux personnes qui y vivent, comment elles-y vivent, mais l’air de rien, sans déranger.


Sur la dimension politique, on peut dire qu’elle existe dans toutes nos activités, nos façons d’exister, d’être en relation. Dans l’écriture, je cherche une forme qui soit en prise sur l’époque, ses structures économiques, sociales, culturelles et qui soit critique. 




Ma dernière question voudrait enfin porter sur les influences qui ont pu présider à l’écriture de votre premier roman. Les lectrices et lecteurs de Collateral vous connaissent déjà puisque vous y avez signé des critiques notamment de Faïza Guène et de Shane Haddad ou vous évoquez encore, dans Allô la Place, le travail d’une autre autrice qui a écrit pour notre revue : Tassadit Immache. On perçoit aussi dans la relation entre la mère et la fille qui cherchent leur place l’influence d’Annie Ernaux. Quelles sont ainsi les autrices ou quels sont les auteurs contemporains qui ont inspiré ce que vous appelez de vous-même votre “poétique de millenial” ? 

 


Parmi les lectures importantes, je citerais le travail du sociologue Abdelmalek Sayad (1933-1998). Il a dessiné l’horizon qui permet de penser l’immigration maghrébine en France. Il a documenté des phénomènes qui sont présents dans Allô la Place comme celui de la double absence, du mensonge qui réfère aux fictions qui sous-tendent l’immigration, du silence de toute une génération d’immigrés maghrébins qui n’est pas seulement le signe d’une résignation, l’agentivité des immigrés… En 2021, un travail inédit de Sayad a été publié par les éditions Raisons d’agir, Femmes en rupture de ban, qui s’appuie sur les témoignages de deux femmes algériennes au tournant des années 1970-1980 et qui m’a beaucoup touchée. Alors qu’on ne parlait pas encore d’intersectionnalité à l’époque en France, ces témoignages mettaient déjà en pièces toutes les assignations de race, de classes, de genre et d’hétéro-normativité. De plus, en note introductive, Sayad mentionne l’importance du récit de soi comme un moyen de fabriquer du sens mais aussi comme méthode de travail pour lui-même qui est personnellement investi dans son travail de recherche. 


Je fais aussi des références explicites dans Allô la Place à Patrick Modiano et Georges Perec qui me parlent tous les deux pour leurs manières, d’ailleurs très différentes, de travailler la question de la mémoire tronquée et des lieux. Je cite aussi une grande autrice, Leïla Sebbar qui a notamment écrit deux magnifiques récits sur son rapport à la langue algérienne : L’arabe comme un chant secret et Je ne parle pas la langue de mon père. J’ai également été beaucoup inspirée par le livre de Luba Jurgenson, Au lieu du péril : récit d’une vie entre deux langues pour sa forme éclatée qui relève autant de la chronique littéraire que de l’essai philosophique. 


S’agissant de Annie Ernaux, elle était présente dans mon esprit du fait de toute la discussion qu’a suscité son prix Nobel et aussi parce que je me suis beaucoup interrogée sur les manières d’écrire un récit personnel. J’aime beaucoup comment elle met en tension la première personne et la dimension collective dans ses romans notamment dans Les Années. Et puis, on m’a signalé que le titre Allô la Place pouvait se lire comme un clin d’œil à La Place, grand roman de la filiation, je mets ça sur le compte d’un acte manqué. 


Pour finir, je veux dire un mot sur Tassadit Imache. J’ai découvert tardivement son travail en tombant sur son essai Fini d’écrire ! alors que je faisais des recherches sur la réception par le milieu littéraire français des auteurices identifié.e.s comme maghrébin.e.s. D’ailleurs, cette découverte tardive, comme elle l’analyse elle-même dans cet essai, s’explique par ce système de réception qui valorise de telles œuvres suivant des critères encore marqués par la colonialité. J’ai ensuite lu ses romans à l’écriture brève et d’une grande intensité. On a eu l’occasion d’échanger et elle m’a encouragée et conseillée alors que je terminais l’écriture d’Allô la Place.



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Nassera Tamer, Allô la place, Verdier, collection "Chaoid", août 2025, 192 pages, 18,50 euros

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